Dans un coup de théâtre parlementaire, le Rassemblement National (RN) a réussi, pour la première fois de son histoire, à faire adopter un texte à l’Assemblée nationale.
Lors de sa niche parlementaire du 30 octobre, le parti d’ « extrême droite » a fait adopter une résolution appelant à la dénonciation des accords migratoires de 1968 avec l’Algérie.
Bien que non contraignante, cette décision symbolique embarrasse l’exécutif et ravive les tensions diplomatiques entre Paris et Alger.
Contexte des Accords de 1968
Signés le 27 décembre 1968 pour clore la guerre d’Algérie, ces accords instaurent un régime migratoire dérogatoire en faveur des ressortissants algériens. Contrairement aux visas classiques, les Algériens peuvent obtenir un certificat de résidence d’un an, accéder plus rapidement à un titre de séjour de 10 ans, et bénéficier d’une plus grande liberté pour exercer des activités commerciales ou professionnelles. Dans le cadre du regroupement familial, un certificat de résidence immédiat de 10 ans est accordé si l’accueillant en possède un. Selon l’INSEE, ces dispositions ont conduit à 1,5 million d’entrées nettes et régulières depuis 1968,
avec environ 6 millions de ressortissants algériens en France aujourd’hui, comme l’a admis le président algérien Abdelmadjid Tebboune en 2020.
Ces accords, destinés à apaiser les relations post-coloniales, n’ont pas effacé la haine persistante d’Alger envers l’ancienne puissance colonisatrice. Au contraire, ils sont aujourd’hui critiqués pour leur obsolescence, surtout dans un contexte de dégradation des relations bilatérales.
Le vote : une adoption serrée grâce à des alliances inattendues
Portée par le député RN Guillaume Bigot, la résolution invite le gouvernement à dénoncer unilatéralement ces accords. Examinée lors de la niche parlementaire du RN, elle a été adoptée par 185 voix pour contre 184 contre (scrutin n° 3260). Le texte a bénéficié du soutien des Républicains (LR) et d’Horizons (le parti d’Édouard Philippe), mais aussi de l’absence notable de nombreux députés Renaissance (macronistes), qui ont déserté l’hémicycle.
Marine Le Pen, présidente du groupe RN, a salué une « journée historique » : « C’est évidemment une journée qu’on peut qualifier d’historique pour le Rassemblement national puisque il vient de faire voter pour la première fois dans une de ces niches un texte qui est extrêmement important pour nous parce que il nous a paraître important pour notre pays. Nous considérons qu’il n’y a plus rien aujourd’hui qui justifie le maintien de cette convention. » Elle a fustigé la gauche comme « mauvaise perdante », multipliant « les hurlements, les insultes, les diffamations ».
Les raisons invoquées par le RN et la droite
Les partisans de la résolution avancent plusieurs arguments. D’abord, la situation de deux Français détenus en Algérie – l’intellectuel Boualem Sansal et le journaliste Christophe Glaise – considérés comme des « otages » d’une « dictature algérienne » pour faire pression sur la France.
« Il fallait montrer à l’Algérie de manière très ferme que la France a une position sévère et qu’elle réclame la libération de ces deux personnes », a expliqué le RN.
Ensuite, le non-respect par Alger des obligations de réadmission : seulement 6 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) délivrées à des Algériens sont appliquées. « L’Algérie systématiquement refuse de reprendre ses OQTF. […] Il faut cesser toute relation avec l’Algérie tant que l’Algérie ne respectera pas la teneur de nos accords », a insisté un député.
À droite, on plaide pour l’application du « droit commun » : « On demande l’application du droit commun. […] L’Algérie se comporte à l’endroit de la France de manière complètement irresponsable et la France n’a que trop tardé à expliquer à l’Algérie que le rapport de force ne tournerait jamais en son avantage. » Les élus RN et LR (rebaptisé UDR dans certains contextes) visent ainsi une fermeté diplomatique et un « bon sens migratoire ».
Réactions du gouvernement et de la gauche
L’exécutif minimise l’impact. Le Premier ministre Sébastien Lecornu a admis que l’accord « appartient à une autre époque » et qu’il fallait le renégocier, tout en rappelant que le président de la République est garant des traités internationaux. L’Élysée a refusé tout commentaire. Le ministre Laurent Panifous, représentant le gouvernement lors des débats, a préféré un « dialogue exigeant » avec Alger plutôt qu’une dénonciation unilatérale.
À gauche, l’indignation est vive. L’écologiste Marine Tondelier dénonce un « racisme totalement décomplexé » . Le député LFI Abdelkader Lahmar a qualifié les harkis de « traîtres » en commission, tandis que l’élu UDR Anan Mansouri, fils d’immigré algérien, s’est ému : « Ce qui m’inquiète aujourd’hui c’est d’entendre des députés qui nous considéraient presque comme des ennemis de l’intérieur. […] C’est le retour de l’OAS à l’Assemblée nationale. » Clémentine Autain (LFI) voit une « passerelle entre les macronistes et le RN », et d’autres accusent le texte d’être « raciste et haineux », préfigurant une politique étrangère basée sur « la haine et le racisme » si le RN arrivait au pouvoir.
Implications politiques et diplomatiques
Cette adoption, bien que symbolique, marque la normalisation croissante du RN et sa capacité à rallier une partie de la droite et du centre. Elle pourrait aggraver les tensions avec l’Algérie, déjà dégradées, et peser sur les négociations futures. Des observateurs notent que c’est la première fois qu’un texte RN passe, signalant un possible basculement des alliances parlementaires.
En somme, cette résolution n’oblige à rien, mais elle envoie un message fort : le RN impose désormais son agenda migratoire au cœur des débats nationaux, forçant l’exécutif à repositionner sa diplomatie vis-à-vis d’Alger.


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