Dans un contexte de tensions croissantes en mer de Chine orientale, le Japon a annoncé, le 25 novembre dernier, le déploiement imminent de missiles sol-air à moyenne portée sur l’île de Yonaguni, la plus proche de Taïwan. Cette décision, qualifiée de « manœuvre dangereuse » par Pékin, ravive les craintes d’une escalade militaire régionale et met à l’épreuve les fragiles équilibres diplomatiques entre Tokyo, Taipei et Beijing.
Une base stratégique au cœur des tensions
Yonaguni, un petit archipel japonais situé à seulement 110 kilomètres de Taïwan, n’est pas un choix anodin. Depuis 2016, cette île abrite déjà une base des Forces d’autodéfense japonaises (JSDF), malgré les réticences initiales de ses habitants, inquiets d’une militarisation accrue. Le ministre de la Défense japonais, Shinjiro Koizumi, a confirmé que l’installation des missiles sol-air – conçus pour intercepter des aéronefs et des missiles ennemis – est « en bonne voie ».
L’objectif affiché : protéger l’île contre des menaces potentielles, dans un arc insulaire où les incursions chinoises se multiplient.

Cette mesure s’inscrit dans une stratégie plus large de renforcement des capacités défensives du Japon face à la montée en puissance de la marine chinoise. Tokyo invoque sa loi de 2015 sur la « légitime défense collective », qui autorise une intervention militaire pour soutenir un allié si cela menace directement la survie du pays. Un scénario que la Première ministre Sanae Takaichi a explicitement évoqué le 7 novembre, lors d’une audition parlementaire : « Une attaque armée contre Taïwan pourrait relever de la légitime défense collective. Nous devons envisager le pire scénario. »
La Chine hausse le ton : « Ligne rouge » franchie
La réponse de Pékin n’a pas tardé. Dès le 26 novembre, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a fustigé cette « tendance extrêmement dangereuse ». « Le déploiement d’armes offensives par le Japon sur les îles du sud-ouest, voisines de Taïwan, vise délibérément à créer des tensions régionales et à provoquer une confrontation militaire », a-t-elle déclaré lors d’un point de presse quotidien. Elle a lié cette annonce aux propos de Takaichi, qualifiés d’« erronés » et « ouvertement provocateurs ».
Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a été encore plus virulent, accusant Tokyo d’avoir « franchi une ligne rouge » et d’envoyer un « signal choquant » d’intervention militaire dans les affaires taïwanaises.
« Les dirigeants actuels du Japon ont dit des choses qu’ils n’auraient pas dû dire », a-t-il tonné, évoquant une possible « renaissance du militarisme japonais » – une référence historique à la défaite de l’Empire nippon en 1945.
En geste concret, la Chine a déconseillé à ses ressortissants de voyager au Japon et autorisé ses compagnies aériennes à rembourser ou modifier sans frais les billets vers l’archipel.
Ces déclarations ne sortent pas de nulle part. Deux semaines après l’audition de Takaichi, qui avait déjà provoqué une convocation de l’ambassadeur chinois à Tokyo, Pékin voit dans ces mouvements une ingérence directe dans sa revendication sur Taïwan, qu’il considère comme une province rebelle. « La Chine est déterminée et capable de défendre sa souveraineté territoriale nationale. Nous ne permettrons jamais les ingérences de forces extérieures dans les affaires taïwanaises », a martelé Mao Ning.
Taïwan se range du côté de Tokyo
De l’autre côté du détroit, Taipei a apporté un soutien mesuré mais clair au Japon. Le vice-ministre des Affaires étrangères taïwanais, Wu Chih-chung, a déclaré : « Le Japon a le droit de faire le nécessaire pour protéger la sécurité de son propre territoire. L’île de Yonaguni est très proche de Taïwan, et le renforcement de ses installations militaires sert nos intérêts nationaux, sans aucune hostilité à notre encontre. »
Cette position reflète l’inquiétude croissante de Taïwan face aux exercices militaires chinois, qui se sont intensifiés depuis l’élection du président Lai Ching-te en mai 2024, perçu comme pro-indépendance par Pékin. Avec des vols d’avions de chasse chinois frôlant quotidiennement l’espace aérien taïwanais, l’archipel voit dans le renforcement japonais un rempart potentiel contre une invasion potentielle.
Un contexte régional en ébullition
Cette annonce intervient dans un climat déjà explosif. Le Japon, traditionnellement pacifiste en vertu de sa Constitution de 1947, a amorcé un virage sécuritaire majeur depuis le commencement de la guerre en Ukraine en 2022. Tokyo a doublé son budget de défense à 2 % du PIB d’ici 2027 et acquis des missiles de croisière Tomahawk, en étroite coordination avec les États-Unis, son allié principal via le traité de sécurité mutuelle de 1960 (qu’ils ont pourtant nucléarisé).
Les îles du sud-ouest japonais, comme Yonaguni ou les Senkaku (disputées avec la Chine), forment un « premier rideau de défense » stratégique. Pékin y multiplie les patrouilles, tandis que Washington renforce ses bases au Japon et en Corée du Sud. L’annonce japonaise pourrait ainsi être vue comme un signal à l’administration Trump, qui a promis une ligne dure contre la Chine.
Le secrétaire général du gouvernement japonais, Minoru Kihara, a minimisé les mises en garde chinoises : « Elles sont en contradiction avec le développement d’une relation stratégique entre nos deux pays. » Mais les faits parlent d’eux-mêmes :
les relations sino-japonaises, déjà tendues par des différends historiques et territoriaux, risquent de plonger dans une nouvelle crise.
Vers une escalade inévitable ?
Ce déploiement de missiles sol-air n’est pas une simple mesure défensive : il symbolise le basculement du Japon vers une posture plus offensive dans le Pacifique. Pour Pékin, il s’agit d’une provocation qui pourrait justifier une réponse asymétrique, comme des survols accrus ou des sanctions économiques. Dans un triangle stratégique où les États-Unis jouent les pompiers pyromanes, cette « ligne rouge » franchie pourrait précipiter une confrontation plus directe. Comme l’a averti Wang Yi, « le Japon a dit des choses qu’il n’aurait pas dû dire ». Reste à savoir si les mots céderont la place aux actes, ou si la diplomatie – fragile – prévaudra encore.


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