Une sanction américaine inédite contre l’architecte du DSA
Le 23 décembre 2025, l’administration Trump a annoncé des restrictions de visa visant cinq Européens impliqués dans la régulation numérique et la lutte contre la désinformation. Au centre de cette mesure : Thierry Breton, ancien commissaire européen au Marché intérieur (2019-2024), qualifié par le Département d’État américain de « cerveau » du Digital Services Act (DSA). Avec lui, quatre activistes « anti-désinformation » (dont des responsables d’ONG britanniques et allemandes comme HateAid et le Centre for Countering Digital Hate –CCDH-) se voient interdits d’entrée sur le sol américain.
Motif invoqué par le secrétaire d’État Marco Rubio : ces individus ont participé à un « complexe industriel de la censure » visant à contraindre les plateformes américaines (X, Meta, etc.) à supprimer, démonétiser ou modérer des contenus, au nom d’une régulation perçue comme une atteinte à la liberté d’expression – pilier du Premier Amendement aux États-Unis.
Thierry Breton s’indigne : « C’est l’Europe qui est touchée »
Invité au journal de 20h de TF1 le 28 décembre 2025, Thierry Breton a dénoncé un « très mauvais signal » envoyé par les États-Unis à l’Europe. Il a rappelé que le DSA, voté à près de 90 % par le Parlement européen et à l’unanimité par les 27 États membres, vise à « protéger nos enfants, nos téléspectateurs » contre les « déviances » en ligne. Pour lui, sa personne importe peu : c’est une attaque contre la souveraineté européenne. Il a ironisé : « La censure n’est pas là où vous pensez qu’elle est. »
Les invités de l’émission Tocsin – Virginie Joron (députée européenne RN), Nicolas Conquer (porte-parole des Républicains overseas) et Nikola Mirkovic (analyste géopolitique) – ont qualifié cette réaction d’hypocrite. Breton, qui menaçait autrefois d’interdire X en Europe si nécessaire, se pose aujourd’hui en victime.
Le bras de fer historique entre Breton et Elon Musk
Ce camouflet n’est pas isolé. Il couronne des années de tensions :
- Mai 2022 : Accord initial sur la régulation numérique.
- Juin 2023 : « Stress test » au siège de Twitter.
- Octobre 2023 : Première lettre urgente de Breton à Musk sur la désinformation.
- Août 2024 : Lettre menaçant Musk avant son entretien avec Trump.
- Décembre 2025 : Amende de 120 millions d’euros infligée à X par l’UE pour non-conformité au DSA.
Musk a répliqué vertement, qualifiant Breton de « tyran de l’Europe ». Les « Twitter Files français », révélés par Michael Shellenberger, accusent même Emmanuel Macron d’avoir personnellement coordonné des pressions secrètes via des ONG pour censurer des contenus dissidents sur Twitter.
Hypocrisie européenne et double standard sur les sanctions
Les invités soulignent le contraste avec les sanctions européennes : gel de comptes bancaires et fermeture de chaînes YouTube pour des figures comme Jacques Baud ou Xavier Moreau, accusés de « déstabilisation russe », sans procès. Ces mesures rendent impossible l’accès à l’argent, voire l’alimentation pour certains.
À l’inverse, la sanction américaine contre Breton est « modérée » : une simple interdiction de visa. Pourtant, l’UE condamne vigoureusement, Macron parlant d’« intimidation ». Nikola Mirkovic rappelle un autre cas : le juge français Nicolas Guillou, sanctionné par les USA pour des mandats contre Netanyahu, privé d’outils comme PayPal ou Visa en Europe – sans protestation européenne.
Vers une guerre transatlantique sur la liberté d’expression ?
Pour Virginie Joron, le DSA, initialement destiné à protéger le marché intérieur (ex. : produits chinois), a dérivé vers une censure politique, annulant même des élections (Roumanie) ou menaçant d’en interdire (Allemagne). Nicolas Conquer dénonce la « censure par proxy » : menaces d’amendes forçant les plateformes à auto-censurer.
Tous appellent à une souveraineté numérique européenne réelle : défendre la liberté d’expression tout en créant nos propres outils, pour éviter l’extraterritorialité américaine. Paradoxe : les plateformes américaines (X, YouTube) protègent aujourd’hui mieux la parole libre que l’UE bureaucratique.
Ce conflit marque un tournant : les États-Unis, sous Trump, défendent farouchement leur Premier Amendement contre une Europe accusée de dérive autoritaire. Breton, symbole de cette régulation contestée, paie le prix d’un bras de fer perdu. L’Europe saura-t-elle tirer les leçons pour une régulation équilibrée, ou continuera-t-elle à s’empêtrer dans l’hypocrisie ?


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