Trudeau et l’envoi de troupes canadiennes en Ukraine : une convergence avec la France et le Royaume-Uni face au recul américain ?
Ottawa – En fin de mandat, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a jeté un pavé dans la mare en n’écartant pas l’envoi de troupes canadiennes en Ukraine une fois le conflit avec la Russie terminé. Cette annonce, faite lors d’un sommet à Kyiv le 24 février 2025, intervient alors que la France et le Royaume-Uni envisagent eux aussi un déploiement post-conflit, dans un contexte où les États-Unis, sous l’impulsion de Donald Trump, semblent prêts à se désengager. Comment cette initiative d’Ottawa pourrait-elle s’imbriquer dans les plans franco-britanniques, et quelles implications aurait-elle pour l’avenir de la sécurité ukrainienne ?
Une sortie remarquée pour Trudeau
À quelques mois de céder son fauteuil – les élections fédérales canadiennes étant attendues à l’automne 2025 –, Justin Trudeau a profité de sa visite en Ukraine pour réaffirmer son engagement envers Kyiv. « Le Canada sera présent pour soutenir une paix durable, et cela inclut toutes les options possibles, y compris une présence militaire si nécessaire », a-t-il déclaré devant Volodymyr Zelensky. Cette prise de position intervient après des années de soutien conséquent : Ottawa a déjà investi 19,5 milliards de dollars en aide militaire, humanitaire et financière depuis 2022, dont une récente enveloppe de 5 milliards tirée d’actifs russes gelés.
Si Trudeau reste vague sur les contours de cette intervention – une force de maintien de la paix ou une présence plus robuste ? –, son discours contraste avec la traditionnelle prudence canadienne, souvent calquée sur celle de son puissant voisin américain. Il semble vouloir laisser une trace internationale avant de passer la main, probablement à Pierre Poilievre, dont les conservateurs mènent dans les sondages.
France et Royaume-Uni : un duo en première ligne
Pendant ce temps, à Paris et Londres, les plans pour une présence militaire en Ukraine post-conflit prennent forme. Emmanuel Macron, après une rencontre avec Trump le 24 février à Washington, milite pour une force européenne sous mandat ONU, capable de sécuriser un cessez-le-feu et de dissuader une nouvelle agression russe. Keir Starmer, le Premier ministre britannique, a quant à lui plaidé le 2 mars pour une « coalition des volontaires » prête à agir rapidement, avec ou sans l’aval de l’ensemble des alliés de l’OTAN. Ces projets traduisent une ambition commune : compenser un éventuel retrait américain, alors que Trump, réélu, promet de négocier une fin rapide du conflit sans garantir un soutien à long terme à Kyiv.
Les deux pays ont déjà intensifié leur coopération militaire avec l’Ukraine. La France a livré des missiles SCALP et formé des unités ukrainiennes, tandis que le Royaume-Uni a fourni des chars Challenger 2 et co-dirigé avec le Canada l’opération UNIFIER, qui a formé plus de 44 000 soldats ukrainiens depuis 2015. Une convergence avec Ottawa semble donc naturelle.
Les États-Unis en retrait : un vide à combler
Le contexte géopolitique rend cette coordination cruciale. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a réitéré sa volonté de mettre fin à la guerre « en 24 heures », sans préciser comment. Ses déclarations, relayées par son probable secrétaire à la Défense Pete Hegseth, laissent présager un désengagement militaire américain, voire une opposition à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. Ce virage pourrait laisser l’Europe et ses alliés, comme le Canada, seuls face à la Russie, dont les ambitions restent imprévisibles même en cas d’accord de paix.
Une intégration possible, mais complexe
L’initiative de Trudeau pourrait s’intégrer aux efforts franco-britanniques de plusieurs façons. Le Canada, membre du Commonwealth et proche partenaire du Royaume-Uni, pourrait rejoindre la « coalition des volontaires » de Starmer, apportant son expertise en formation et en logistique. Avec la France, une collaboration sous l’égide de l’ONU renforcerait la légitimité internationale d’une telle mission, Ottawa ayant une longue tradition de participation aux opérations de maintien de la paix.
Mais des défis subsistent. Les priorités diffèrent : Macron insiste sur un cadre multilatéral, tandis que Starmer privilégie une approche flexible. Trudeau, lui, devra convaincre un Parlement canadien divisé et un successeur potentiellement moins favorable à une telle aventure. De plus, le financement et la coordination logistique d’une force tripartite exigeront des ressources colossales, alors que les trois pays font face à des contraintes budgétaires internes – pensons aux 3 200 milliards d’euros de dette française ou au déficit canadien.
Un signal fort à Kyiv et Moscou
Pour Kyiv, l’alignement de ces trois nations serait une aubaine. Zelensky, qui a chaleureusement salué Trudeau à Kyiv, y voit une garantie contre un retour en force russe. À Moscou, en revanche, cette convergence pourrait être perçue comme une provocation, compliquant les négociations déjà fragiles.
Alors que la guerre russo-ukrainienne approche de sa quatrième année, la proposition de Trudeau pourrait redessiner les contours de l’appui occidental à l’Ukraine. Mais sa concrétisation dépendra d’une entente sans faille entre Ottawa, Paris et Londres – et de leur capacité à agir là où Washington se retire. Une chose est sûre : dans ce jeu d’échecs géopolitique, le Canada pourrait bien sortir de l’ombre.
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