Hier soir, le 5 mars 2025, à 20 heures, Emmanuel Macron s’est adressé aux Français dans une allocution télévisée d’une quinzaine de minutes, diffusée depuis l’Élysée. Officiellement destinée à répondre aux « angoisses » des citoyens face à la guerre en Ukraine et à la bascule géopolitique mondiale, cette intervention a surtout révélé un président en posture de chef de guerre autoproclamé, multipliant les accents martiaux tout en exposant, peut-être sans le vouloir, les limites criantes de son discours et de la capacité militaire française face à une puissance comme la Fédération de Russie. Sur le fond comme sur la forme, cette prise de parole soulève des interrogations sérieuses quant à sa cohérence stratégique et à son adéquation avec la réalité.
Un ton belliciste qui frôle l’excès
Dès les premières minutes, Macron a planté un décor alarmiste : « Nous entrons dans une nouvelle ère », a-t-il martelé, évoquant une Russie devenue « une menace pour la France et pour l’Europe ». La litanie des griefs est connue : violation des frontières, manipulation électorale, cyberattaques. Mais le président a poussé le curseur plus loin en posant une question rhétorique lourde de sous-entendus : « Qui peut croire que la Russie s’arrêtera à l’Ukraine ? » Cette formule, répétée dans les médias depuis des mois, vise à instiller l’idée d’un affrontement inévitable, presque imminent, avec Moscou. Refusant un « cessez-le-feu trop fragile » en Ukraine, Macron s’est drapé dans une rhétorique de fermeté, appelant à des « investissements supplémentaires » dans la défense et à un sursaut collectif face à un « monde de danger » où rester « spectateur serait une folie ».
Ce ton martial, s’il peut séduire une frange de l’opinion en quête de leadership, confine pourtant à une surenchère inquiétante. En brandissant la menace russe comme un épouvantail universel, Macron semble jouer une partition plus émotionnelle que rationnelle, au risque de verser dans une escalade verbale déconnectée des réalités opérationnelles. Car si l’intention est de mobiliser, elle se heurte à une question brutale : la France, et plus largement l’Europe, ont-elles les moyens de leurs ambitions face à une Russie qui, quoi qu’on en pense, reste une puissance militaire de premier ordre ?
L’armée française : un colosse aux pieds d’argile ?
Macron n’a pas hésité à vanter « l’armée la plus efficace d’Europe », soulignant les efforts budgétaires réalisés sous ses mandats – le budget militaire a presque doublé depuis 2017, atteignant 50,5 milliards d’euros en 2025. Il a également agité le totem de la dissuasion nucléaire, proposant d’« ouvrir un débat stratégique » sur son extension à d’autres pays européens. Mais derrière ces déclarations triomphantes, le tableau est bien moins reluisant. L’armée française, si elle excelle dans des opérations extérieures ciblées (comme au Sahel), souffre de lacunes structurelles qui la rendent peu apte à un conflit de haute intensité contre un adversaire comme la Russie.
Avec environ 200.000 militaires d’active, la France dispose d’une force respectable mais limitée en volume. Ses équipements, souvent performants (Rafale, canons Caesar), sont en nombre insuffisant pour soutenir une guerre prolongée. Les réserves de munitions, par exemple, sont notoirement faibles : des exercices récents ont montré que les stocks s’épuiseraient en quelques semaines dans un scénario de combat intense. À cela s’ajoutent des problèmes récurrents de recrutement et de maintenance, qui fragilisent la disponibilité opérationnelle. Comparons cela à la Fédération de Russie : avec plus d’un million de soldats d’active, 300.000 supplémentaires prévus d’ici 2030, et un budget militaire représentant 40 % des dépenses publiques (selon Macron lui-même), Moscou joue dans une autre catégorie. Son arsenal, bien que parfois vieillissant, repose sur une logique de masse et une doctrine de guerre totale que l’Ukraine subit depuis trois ans.
L’idée d’un face-à-face, même indirect, entre ces deux armées révèle une inadéquation abyssale. Macron peut bien parler de « réarmement » et d’« indépendance européenne », mais les faits sont têtus : la France, seule, n’a ni la profondeur stratégique ni les ressources humaines et matérielles pour peser militairement face à la Russie sans un soutien massif des États-Unis – un allié dont il doute lui-même de la fiabilité sous Trump.
Une posture européenne en trompe-l’œil
Le président a tenté de compenser cette faiblesse en appelant à une « Europe puissante », capable de rivaliser avec les États-Unis et la Russie. Louable ambition, mais là encore, le décalage entre les mots et les actes est saisissant. L’Union européenne reste un nain militaire, minée par des divergences internes – voir la prudence de l’Allemagne ou les réticences de la Hongrie de Viktor Orban, reçu à l’Élysée le même jour. L’annonce d’une réunion à Paris des chefs d’état-major pour « garantir une future paix en Ukraine » sonne comme une tentative de reprendre la main diplomatiquement, mais elle peine à masquer l’absence d’une véritable cohésion stratégique au sein des Vingt-Sept.
Pire, Macron semble ignorer que son bellicisme risque d’isoler la France davantage qu’il ne la renforce. Ses partenaires, déjà échaudés par ses sorties sur l’envoi de troupes en Ukraine en 2024, pourraient voir dans cette nouvelle escalade un cavalier seul plus théâtral qu’efficace. Pendant ce temps, la Russie, forte de son endurance et de ses alliances (Chine, Iran), regarde peut-être ce spectacle avec un mélange d’amusement et de méfiance.
Une déconnexion qui interroge
En somme, l’intervention de Macron hier soir a voulu projeter une image de fermeté et de vision, mais elle trahit surtout une forme d’impuissance masquée par des mots forts. À force de brandir la menace russe sans proposer de stratégie crédible, le président prend le risque de nourrir l’angoisse qu’il dit vouloir apaiser, tout en exposant les failles d’une armée française qui, malgré ses qualités, n’est pas taillée pour le choc titanesque qu’il laisse entendre. À l’heure où la prudence diplomatique et le renforcement discret des capacités militaires devraient primer, ce bellicisme ostentatoire apparaît non seulement inadéquat, mais potentiellement dangereux. Les Français, eux, attendent peut-être moins de postures héroïques que des réponses concrètes à un monde effectivement incertain.
N’oublions pas que le mouvement des Gilets jaunes s’est déclaré pour beaucoup moins que ça…!
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