En France, le système des aides publiques à la presse, censé garantir le pluralisme, est devenu un outil de contrôle politique et économique, suscitant une indignation croissante. Des centaines de millions d’euros d’argent public sont versés chaque année à des groupes médiatiques détenus par des milliardaires, souvent dans une opacité troublante. Ce scandale, dénoncé par des médias indépendants et amplifié par la montée de la presse de « réinformation », révèle une fracture entre une presse mainstream subventionnée et une presse libre entravée par un système qui cherche à la museler.
Un système clientéliste au service des puissants
En 2022, selon le ministère de la Culture, 110,4 millions d’euros d’aides directes ont été distribués à 370 titres de presse, auxquels s’ajoutent des aides indirectes (exonérations fiscales, compensations postales) portant le total à environ 367 millions d’euros en 2021. Sur dix ans, ce sont près de 2 milliards d’euros qui ont été injectés dans le secteur, selon Mediapart. Les principaux bénéficiaires ? Des journaux appartenant à des empires industriels : Aujourd’hui en France/Le Parisien (13,5 millions d’euros en 2021, propriété de Bernard Arnault), Ouest-France (7,5 millions), Le Figaro (6,45 millions, famille Dassault), Le Monde (5,43 millions, Xavier Niel) ou Libération (6 millions, Patrick Drahi). Ces montants, justifiés par des critères opaques comme le volume de ventes ou le soutien aux titres à « faibles ressources publicitaires », soulèvent une question : pourquoi l’État finance-t-il des entreprises rentables, adossées à des fortunes colossales ?
Pire, ces aides semblent liées à une complaisance éditoriale. Off Investigation accuse directement Emmanuel Macron de favoriser ses alliés milliardaires, citant des exemples de rédactions évitant les enquêtes sur des scandales impliquant le pouvoir, comme l’affaire McKinsey ou les Panama Papers. La Cour des comptes, dans ses rapports de 2013 et 2019, a dénoncé l’absence d’évaluation rigoureuse et le coût croissant de ces subventions, sans effet sur la réforme du système. Edwy Plenel, dans Mediapart, qualifie ce mécanisme de « triche économique » et de « discrédit éditorial », pointant un « scandale persistant » qui mine la confiance dans les médias.
La presse de réinformation : une alternative face à la défiance
Face à cette presse subventionnée, perçue comme un relais du pouvoir, la presse de réinformation gagne du terrain. Des médias comme Fdesouche, Boulevard Voltaire, TV Libertés ou Égalité et Réconciliation attirent un public lassé des narratifs officiels. Selon le Reuters Institute (2022), 69 % des Français s’informent désormais en ligne, et les sites de réinformation, bien que controversés, rivalisent avec les grands médias. Égalité et Réconciliation revendique une audience dépassant celle d’Atlantico, tandis que TV Libertés cumule des millions de vues mensuelles, notamment lors d’événements polarisants comme les Gilets jaunes. Contrepoints note que cette montée s’explique par une défiance croissante : 57 % des Français, selon un baromètre Kantar de 2023, se méfient des médias mainstream sur les grands sujets.
Cette presse, souvent accusée de biais ou de dérives, capitalise sur un discours brut, perçu comme authentique. Elle séduit particulièrement les 18-24 ans, qui s’informent via YouTube, Telegram ou Rumble, où les contenus échappent partiellement à la censure des GAFAM. Mediapart, bien que distinct par son positionnement, prouve qu’un modèle indépendant, basé sur les abonnements, est viable, renforçant l’idée que la presse peut exister sans subventions.
Une répression systémique pour museler la dissidence
La presse de réinformation fait face à une hostilité croissante, orchestrée par un système qui mobilise divers acteurs pour limiter sa portée. Les géants du numérique, comme Google, déréférencent ces sites, réduisant leur visibilité : Fdesouche et Polémia ont vu leur trafic chuter après des mises à jour algorithmiques favorisant les sources « fiables » – souvent les médias subventionnés.
Sur les réseaux sociaux, le shadow banning limite la portée des comptes dissidents, tandis que des suspensions pour « désinformation » ou « discours de haine » visent des médias alternatifs, psouvent sur des critères flous. En 2020, la Revue des médias soulignait que le signalement participatif est détourné pour cibler ces acteurs, rendant leurs contenus invisibles.
Par ailleurs, des collectifs militants comme Sleeping Giants, lancé en France en 2017, mènent des campagnes pour priver ces médias de revenus publicitaires. En interpellant les annonceurs sur les réseaux sociaux, Sleeping Giants a réussi à faire retirer plus de 1.000 annonceurs de sites comme Boulevard Voltaire et des centaines de blogs, parfois jusqu’à leur exclusion définitive de Google Ads. Cette stratégie, qui vise à assécher financièrement les médias jugés « haineux », a également touché Valeurs Actuelles, CNews ou Causeur.
Coucou @Opel_France !
— Sleeping Giants FR (@slpng_giants_fr) December 6, 2020
Question : la présence de votre bannière sur le site nauséabond #ValeursActuelles est-elle volontaire, et dans la négative comptez-vous retirer ce site de vos campagnes afin de ne plus financer la haine, le complotisme et l'intolérance ? pic.twitter.com/qpdpQu4MyD
Face à cela, les Corsaires, un collectif de cybermilitants créé en 2021, se mobilisent pour contrer ces actions. Revendiquant 10.000 membres, ils se présentent comme des défenseurs de la liberté d’expression, dénonçant une « dictature idéologique » imposée par Sleeping Giants. Leur méthode consiste à alerter leurs membres par mail ou SMS lorsqu’une entreprise est ciblée, leur fournissant des messages et visuels pour dissuader les marques de céder aux pressions, notamment celles soutenant CNews ou Valeurs Actuelles. Si Sleeping Giants se positionne comme un rempart contre la désinformation, ses détracteurs, y compris les Corsaires, dénoncent une censure déguisée qui favorise les médias alignés.
À cela s’ajoutent des obstacles financiers : des banques refusent d’ouvrir des comptes à des médias comme TV Libertés, invoquant des « risques réputationnels », tandis que des entreprises de marketing numérique, sous pression des GAFAM, rompent leurs contrats, privant ces sites de revenus essentiels. Ce système de répression, combinant censure numérique, pressions économiques et activisme militant, vise à étouffer une presse qui dérange.
Chute de l’audimat mainstream, essor de la réinformation
Les médias mainstream, malgré leurs subventions, perdent du terrain. Les JT de TF1 et France 2 ont vu leur audience chuter de 20 % entre 2010 et 2020, selon Médiamétrie, tandis que les plateformes comme YouTube ou Telegram captent les jeunes. CNews, avec une ligne perçue comme moins alignée, a dépassé BFMTV en parts d’audience en 2023. À l’inverse, Libération a perdu 30 % de ses lecteurs papier entre 2015 et 2022, et Le Monde peine à maintenir ses tirages malgré 5,43 millions d’euros d’aides annuelles. Off Investigation note que ces médias, dépendants des subventions (jusqu’à 14 % de leurs revenus), luttent pour regagner la confiance.
Pendant ce temps, la presse de réinformation prospère. TV Libertés revendique des pics d’audience lors des débats sur l’immigration ou les crises sociales, tandis que Fdesouche attire des millions de visiteurs mensuels. Leur modèle, basé sur le financement participatif et les réseaux alternatifs, leur permet de résister. Contrepoints cite l’exemple de Sud Radio, qui, bien que moins radical, a doublé son audience en cinq ans en adoptant un ton critique du pouvoir.
Une crise de légitimité des médias
Le scandale des aides à la presse révèle un système où l’État, loin de promouvoir le pluralisme, finance une presse alignée, au détriment de l’indépendance. Les 2 milliards d’euros versés en dix ans, comme le souligne Mediapart, n’ont pas empêché la chute de l’audimat des médias mainstream, tandis que la presse de réinformation, malgré ses limites, répond à une soif de vérité. Les entraves systémiques – déréférencement, censure, ostracisme financier – montrent la volonté de préserver un monopole de l’information. Mais les Français, par leurs choix, redessinent le paysage médiatique, posant une question cruciale : la démocratie peut-elle survivre sans une presse libre ?
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