Depuis plusieurs décennies, la France et l’Europe traversent une crise démographique marquée par une baisse continue de la natalité. En 2023, selon les données de l’Insee, la France a enregistré seulement 678 000 naissances, un record historique de faiblesse depuis 1946, avec une chute de 6,6 % par rapport à l’année précédente. L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) est tombé à 1,68 enfant par femme, bien en dessous du seuil de remplacement des générations fixé à 2,1. Cette tendance n’est pas propre à la France : en Allemagne, en Italie ou en Espagne, les taux de fécondité flirtent respectivement avec 1,5, 1,2 et 1,3 enfant par femme, plongeant l’Europe dans ce que certains appellent un « hiver démographique ». Mais pourquoi les Français et les Européens ne veulent-ils plus faire d’enfants ? Et comment cette dynamique s’articule-t-elle avec la montée de l’immigration, perçue par certains comme une dilution des peuples autochtones et une illustration de la théorie du « Grand Remplacement » ?
Pourquoi les Français ne veulent plus d’enfants ?
Plusieurs facteurs expliquent ce recul de la natalité en France. D’abord, des raisons économiques pèsent lourdement. La précarité croissante, le chômage (qui touche 7,4 % de la population active en 2024 selon l’Insee), et la flambée des prix de l’immobilier réduisent le pouvoir d’achat des ménages. Entre 2019 et 2022, le pouvoir d’achat immobilier d’un ménage moyen est passé de 86 à 80 m², rendant l’installation dans un logement adapté à une famille plus difficile. À cela s’ajoute une politique familiale en perte de vitesse : depuis 2013, la baisse du quotient familial et la modulation des allocations en fonction des revenus ont fragilisé le soutien aux familles, rompant avec une tradition nataliste qui faisait consensus jusque-là.
Mais l’économie n’explique pas tout. Des facteurs socioculturels jouent également un rôle déterminant. L’individualisme, exacerbé par une société valorisant la réussite personnelle et la liberté, conduit de nombreux couples à repousser ou abandonner l’idée d’avoir des enfants. La contraception et l’accès à l’avortement, bien que libérateurs pour beaucoup, ont aussi contribué à cette baisse. En 2010, un sondage de l’Ifop révélait que 47 % des femmes ayant recours à l’avortement invoquaient des raisons matérielles. Enfin, l’incertitude face à l’avenir – crise climatique, instabilité géopolitique – renforce un sentiment de défiance qui décourage le désir d’enfant. En somme, faire des enfants est perçu comme un luxe ou un risque que beaucoup ne veulent plus prendre.
La montée de l’immigration : clandestine, puis légale
Parallèlement à cette dénatalité, l’Europe, et la France en particulier, fait face à une augmentation des flux migratoires. En 2023, Frontex, l’agence européenne de garde-frontières, a recensé 380 000 passages clandestins aux frontières de l’UE, en hausse de 17 % par rapport à 2022. Ces arrivées, majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest (Guinée, Côte d’Ivoire, Sénégal), s’ajoutent à une immigration légale croissante. En France, le solde migratoire atteint environ 169 000 personnes en 2020 (dernières estimations disponibles), un chiffre qui grimpe à plus de 200 000 dans les années suivantes selon des projections. Depuis les années 2000, la population immigrée est passée de 7 % à 10,7 % de la population totale, soit 7,3 millions de personnes en 2023, dont la moitié originaire d’Afrique.
Cette immigration, d’abord clandestine via des routes périlleuses (Méditerranée, Balkans), devient souvent légale par le biais du regroupement familial, des demandes d’asile (145 000 en France en 2023) ou des études. Si elle répond en partie à un besoin économique – compenser le vieillissement de la population active –, elle suscite des inquiétudes parmi ceux qui y voient une menace pour l’identité culturelle des « peuples autochtones ». En Seine-Saint-Denis, par exemple, les naissances de parents nés en France sont désormais minoritaires (32 %), un phénomène qui alimente les débats sur la transformation démographique du pays.
La théorie du « Grand Remplacement » : fantasme ou réalité ?
C’est dans ce contexte que la théorie du « Grand Remplacement« , popularisée par l’écrivain Renaud Camus, trouve un écho croissant. Selon cette idée, les populations européennes blanches et chrétiennes seraient progressivement remplacées par des populations immigrées, majoritairement musulmanes, en raison d’une natalité en berne chez les « natifs » et d’une fécondité plus élevée chez les immigrés (2,3 enfants par femme immigrée contre 1,7 pour les natives en 2021, selon l’Insee). Entre 2000 et 2022, les naissances issues de deux parents nés à l’étranger ont bondi de 72 %, tandis que celles de parents nés en France ont chuté de 22 %, un croisement de courbes qui sert d’argument aux tenants de cette thèse.
Pour ses défenseurs, souvent proches de l’extrême droite, le « Grand Remplacement » serait une réalité tangible : la faible natalité des populations européennes, combinée à une immigration soutenue, conduirait à une substitution progressive des « peuples autochtones ». En 2022, un tiers des bébés nés en France avait au moins un parent né hors de l’UE, un chiffre qu’ils citent comme une preuve de cette dilution. Cependant, les démographes relativisent : l’impact des immigrées sur la fécondité nationale reste marginal (0,1 point sur l’ICF), et leurs descendants tendent à adopter les comportements reproductifs des natifs. Si François Héran, de l’Ined, préfère parler de « diversification », ses opposants rétorquent que cette évolution démographique altère irrémédiablement l’identité culturelle originelle, au-delà des simples statistiques et que la simple observation du réel permet de se rendre compte de l’ampleur du problème.
Un avenir incertain
La baisse de natalité en France et en Europe, conjuguée à la montée de l’immigration, dessine un paysage démographique en pleine mutation. Si l’immigration compense partiellement le déclin naturel (naissances moins décès négatif en France métropolitaine en 2024), elle ne résout pas le vieillissement ni les défis économiques à long terme. Pour les uns, elle est une chance, un moyen de rajeunir une population essoufflée ; pour les autres, elle incarne une menace existentielle, cristallisée par la théorie du « Grand Remplacement ». Entre ces deux visions, une certitude : sans politiques natalistes ambitieuses et une réflexion approfondie sur l’intégration choisie, l’Europe risque de voir ses équilibres culturels et sociaux durablement transformés avec tous les problèmes que cela comporte.
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