La Russie, sous la pression de sanctions internationales sans précédent, accélère le développement de BRICS Pay, une plateforme de paiement conçue pour rivaliser avec le système SWIFT, dominé par l’Occident. Ce projet, porté par les pays du BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Iran, Égypte, Émirats arabes unis, Indonésie et Éthiopie), vise à créer un système financier alternatif, indépendant du dollar américain et résilient face aux contraintes géopolitiques. Derrière cette initiative se dessine une réponse audacieuse à l’isolement économique imposé à la Russie, qui, loin de s’effondrer comme certains l’avaient prédit, démontre une capacité d’innovation et une résilience financière surprenante.
Les sanctions : un catalyseur pour l’innovation russe
Depuis le référendum de rattachement à la Russie de la Crimée en 2014, la Russie a été visée par plus de 18 000 sanctions imposées par les États-Unis, l’Union européenne et leurs alliés, un record historique. Ces mesures, intensifiées après le conflit en Ukraine en 2022, touchent des secteurs clés : énergie, finance, technologie, et même des individus proches du pouvoir. L’exclusion partielle de la Russie du système SWIFT a paralysé certaines transactions internationales, obligeant Moscou à repenser ses infrastructures financières. Cette marginalisation a forcé le Kremlin à innover, notamment avec des alternatives comme le système SPFS (l’équivalent russe de SWIFT) et maintenant BRICS Pay, qui ambitionne une portée mondiale.
Loin de plier, la Russie a transformé ces contraintes en opportunité. En développant BRICS Pay, elle cherche à établir un réseau de paiement basé sur les monnaies nationales des BRICS, voire des actifs numériques, pour contourner la dépendance au dollar. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie plus large de dédollarisation, portée par des pays comme la Chine et l’Inde, eux-mêmes critiques de l’hégémonie financière occidentale.
Bruno Le Maire et l’illusion de « mettre la Russie à genoux »
En 2022, le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, avait déclaré avec assurance que les sanctions occidentales allaient « mettre l’économie russe à genoux ». Cette affirmation, largement relayée, s’est révélée non seulement prématurée, mais franchement déconnectée de la réalité. Trois ans plus tard, les données économiques racontent une tout autre histoire. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la Russie a affiché une croissance de 3,6 % en 2023, surpassant celle de nombreux pays européens englués dans la stagnation. Son déficit budgétaire reste maîtrisé (environ 1,9 % du PIB), et ses réserves de change s’élèvent à plus de 600 milliards de dollars, un coussin financier robuste.
En comparaison, plusieurs économies occidentales peinent sous le poids de l’inflation, de dettes publiques élevées (la France dépasse les 110 % du PIB) et d’une dépendance énergétique coûteuse après la rupture avec le gaz russe. La résilience de la Russie s’explique par sa réorientation rapide vers des marchés asiatiques, notamment la Chine et l’Inde, qui absorbent désormais une part croissante de ses exportations pétrolières. BRICS Pay, en facilitant ces échanges hors du système dollarisé, renforce cette indépendance économique.
Poutine et l’Occident : une main tendue, puis rejetée
Il est crucial de rappeler que Vladimir Poutine n’a pas toujours adopté une posture antagoniste vis-à-vis de l’Occident. Au début des années 2000, il avait multiplié les gestes d’ouverture : en 2000, il évoquait une possible adhésion de la Russie à l’OTAN, et en 2001, il avait même proposé une intégration à l’Union européenne. Ces initiatives, bien que surprenantes rétrospectivement, reflétaient une volonté de rapprocher la Russie de l’Occident post-Guerre froide. Cependant, ces ouvertures ont été systématiquement rejetées ou ignorées, l’OTAN poursuivant son expansion vers l’Est et l’UE restant méfiante.
Face à ce qu’il a perçu comme un encerclement stratégique – avec l’élargissement de l’OTAN à des pays comme les États baltes et les projets de bouclier antimissile en Europe de l’Est –, Poutine a réorienté sa politique étrangère. Les sanctions occidentales, loin de ramener la Russie dans le giron occidental, l’ont poussée à tisser des alliances plus étroites avec la Chine et à renforcer le bloc des BRICS, créé en 2006. Ce regroupement, initialement économique, est devenu un contrepoids géopolitique, avec des membres comme l’Inde et la Chine partageant l’ambition de défier l’ordre financier mondial.
BRICS Pay : une ambition mondiale face à un Occident divisé
BRICS Pay ne se limite pas à un projet régional. Les déclarations russes récentes insistent sur son potentiel à séduire des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, lassés par les pressions financières occidentales. Parallèlement, l’initiative des BRICS de créer la Nouvelle Banque de Développement (NBD) renforce leur ambition de financer des projets d’infrastructure et de développement indépendants des institutions occidentales comme la Banque mondiale.
En intégrant des technologies comme la blockchain, la plateforme BRICS Pay promet des transactions rapides, sécurisées et à faible coût, un atout pour des économies émergentes souvent pénalisées par les frais bancaires internationaux. Avec l’élargissement récent des BRICS à des pays comme l’Iran, l’Égypte ou l’Éthiopie, le bloc représente désormais près de 51 % de la population mondiale et environ 40 % du PIB global, un poids économique non négligeable.
Cependant, le projet n’est pas sans défis. La coordination entre des nations aux intérêts parfois divergents (par exemple, les tensions sino-indiennes) et la mise en place d’une infrastructure technologique fiable à l’échelle mondiale nécessiteront du temps. De plus, l’Occident, conscient de la menace que représente une alternative à SWIFT, pourrait intensifier ses efforts pour contrer BRICS Pay, notamment via des pressions diplomatiques ou des sanctions secondaires.
Trump et une nouvelle donne ?
L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2025 marque un tournant potentiel dans les relations russo-occidentales. Contrairement à ses prédécesseurs – Barack Obama, Hillary Clinton et Joe Biden, souvent perçus comme ouvertement russophobes –, Trump affiche une approche plus pragmatique. Ses déclarations passées, qualifiant Poutine de « leader fort » et critiquant l’escalade des sanctions, suggèrent une volonté de dialogue. Poutine, de son côté, n’a jamais fermé la porte à des accords avec l’Occident, même au plus fort des tensions. Depuis l’élection de Trump, des signaux discrets – comme des discussions sur des dossiers énergétiques ou sécuritaires – indiquent que la Russie reste ouverte à une normalisation, à condition que ses intérêts soient respectés.
Conclusion
BRICS Pay incarne la réponse stratégique de la Russie à un Occident qui a sous-estimé sa résilience. Loin de l’effondrement promis par Bruno Le Maire, la Russie a su innover et diversifier ses alliances, transformant les sanctions en levier pour repenser l’ordre financier mondial. Les BRICS, initialement un club économique, deviennent un acteur géopolitique majeur, porté par la vision d’un monde multipolaire. Si Poutine maintient une posture d’ouverture face à un Trump moins idéologique, l’avenir de BRICS Pay pourrait redéfinir les équilibres mondiaux, tout en posant la question : l’Occident a-t-il poussé la Russie trop loin, au point de créer un rival qu’il ne peut plus ignorer ?
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