Emmanuel Macron a officialisé la construction d’un géant des mers pour 2038. Ce chantier pharaonique d’un coût de plus de 10 milliards d’euros interroge : cette dépense est-elle une nécessité stratégique vitale ou un caprice d’orgueil national dans un contexte budgétaire et social tendu ?
Un géant des mers pour un monde « prédateur »
Le discours était solennel, prononcé face aux troupes françaises déployées aux Émirats arabes unis. Dimanche 21 décembre, le président de la République a levé le voile sur l’une des décisions stratégiques les plus lourdes de son mandat : le lancement effectif de la construction du futur porte-avions français (PANG).
Ce colosse nucléaire de 310 mètres et 80 000 tonnes, destiné à remplacer le « Charles de Gaulle » à l’horizon 2038, est présenté comme le garant de notre autonomie et de notre rang. L’argumentaire officiel, martelé par l’Élysée, est limpide. Dans un monde devenu « prédateur », pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron, la dissuasion passe par la démonstration de force.
« À l’heure des prédateurs, nous devons être forts pour être craints », a-t-il justifié.
Véritable « petite ville » flottante, ce bâtiment conçu pour durer des décennies incarne une projection de puissance qu’alliés et adversaires comprennent.
L’addition stratosphérique d’une souveraineté « à la française »
Pourtant, derrière la vitrine stratégique, les réalités économiques égratignent la coque impeccable du discours. L’addition est salée : « plus de 10 milliards d’euros » pour ce seul navire, un « chantier du siècle » qui mobilisera « près de 10 millions d’heures de travail ». Le gouvernement assure que le financement est prévu, via les crédits des armées. Mais cette enveloppe, comme le reste du budget de l’État, est enlisée dans les débats parlementaires.
L’ancien ministre des Armées, Sébastien Lecornu, l’avait reconnu avec une franchise rare lors de débats antérieurs : « On se paie notre autonomie française. Forcément, si on achetait américain, ça coûterait moins cher. Il faut aussi mettre les pieds dans le plat. »
Un aveu qui résonne étrangement alors que les arbitrages budgétaires se font chaque jour plus douloureux.
Le cœur des Français entre les canons et le beurre
Mais dans l’opinion, la balance entre les canons et le beurre est d’une sensibilité aiguë. Alors que les services publics peinent, que la transition écologique réclame des investissements colossaux et que la dette publique pèse chaque jour un peu plus, un tel projet peut sembler venir d’un autre temps.
Est-il raisonnable d’engager des dizaines de milliards pour un outil livré dans 13 ans, dont la pertinence dans un conflit de haute intensité, face aux missiles hypersoniques, est parfois remise en question par les experts ? La puissance militaire, souligne le ministère des Armées, « résulte de la qualité des avions embarqués ». Ne pourrait-on pas investir en priorité dans ces vecteurs, avec plus d’agilité et à moindre coût ?
Verdict : un navire déjà dans la tempête
La décision est prise. Le premier coup de chalumeau sera donné à Saint-Nazaire en 2031. Le PANG voguera. Mais il naviguera dans des eaux politiquement agitées. Entre la raison d’État et le sentiment d’injustice, le nouveau géant des mers devra affronter, bien avant son lancement, la tempête du débat démocratique. Son véritable baptême ne sera pas celui de la mer, mais celui de l’assentiment — ou du rejet — d’une nation confrontée à des choix de société cruciaux.


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