Depuis la fin juin 2025, la France fait face à une épidémie de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), une maladie virale affectant les bovins. Détectée pour la première fois en Savoie, cette infection s’est rapidement propagée dans les départements alpins, touchant plus de 70 foyers et entraînant l’abattage de milliers d’animaux. Si la maladie n’est pas transmissible à l’humain, ses conséquences sur l’agriculture sont profondes, divisant les éleveurs entre ceux qui soutiennent les mesures draconiennes des autorités et ceux qui les dénoncent comme excessives.
Origines et propagation de la maladie
La DNC est causée par un virus de la famille des Poxviridae, similaire à celui de la variole. Originaire d’Afrique subsaharienne, elle a émergé en Europe ces dernières années, avec des cas signalés en Italie dès juin 2025.
En France, le premier foyer a été confirmé le 29 juin dans un élevage savoyard, probablement introduit par des insectes vecteurs comme les mouches ou les moustiques, ou via des importations d’animaux.
Les symptômes incluent de la fièvre, une perte de poids, une réduction de la production laitière et des nodules cutanés douloureux, avec un taux de mortalité généralement bas, autour de 1 à 2 %, mais une morbidité (nombre de malades dans une population pendant une période donnée) pouvant atteindre 25 %. La propagation se fait principalement par les insectes piqueurs, mais aussi par la semence animale, le lait ou les sécrétions nasales, rendant les zones humides et estivales particulièrement vulnérables.
Au 8 août 2025, 71 foyers ont été recensés, principalement en Savoie et Haute-Savoie, affectant 37 élevages. Les autorités estiment que sans intervention rapide, l’épidémie pourrait s’étendre à d’autres régions, menaçant l’ensemble du cheptel bovin français, qui compte environ 16 millions de têtes.
Les mesures sanitaires officielles : abattage et vaccination
Face à cette menace, classée comme maladie de catégorie A par l’Union européenne, les autorités françaises ont opté pour une stratégie offensive. Un arrêté du 16 juillet 2025 fixe les mesures de surveillance, de prévention et de lutte, incluant l’interdiction des mouvements d’animaux dans les zones réglementées, la mise en place de périmètres de protection et de surveillance, et une campagne de vaccination massive. Plus de 310.000 bovins ont été vaccinés dans un rayon de 50 km autour des foyers, utilisant un vaccin atténué qui développe une immunité en 21 jours, bien qu’il puisse causer des effets secondaires mineurs.
La mesure la plus controversée reste l’abattage total des troupeaux infectés, même si un seul animal est testé positif. Cette approche vise à éteindre rapidement les sources du virus, en conformité avec les recommandations européennes pour les maladies émergentes. Les acteurs du sanitaire, réunis par le ministère de l’Agriculture, ont approuvé cette stratégie le 16 juillet, soulignant son efficacité pour préserver les exportations bovines vers des pays comme l’Italie ou l’Asie. Des indemnisations financières ont été renforcées, couvrant la valeur des animaux abattus et les pertes économiques, avec un arrêté dédié publié le même jour.
Controverses et oppositions des éleveurs
Cependant, cette politique d’abattage systématique divise profondément le monde agricole.
Plusieurs syndicats, dont la Coordination Rurale, la Confédération Paysanne et le Modef, la qualifient de « démesurée » et « inhumaine », arguant que la maladie a une létalité faible et que des alternatives existent, comme l’isolement des animaux malades, des traitements symptomatiques (antibiotiques, anti-inflammatoires) ou une vaccination ciblée. Des pays comme la Hongrie ou Israël ont géré des épidémies passées avec un abattage limité, privilégiant la surveillance et les soins, sans recourir à des massacres massifs.
Des manifestations ont éclaté en Savoie, avec des blocages d’abattoirs et des rassemblements à Chambéry le 24 juillet, où des éleveurs ont empêché l’abattage de troupeaux entiers, comme celui de 120 Montbéliardes à Cessens. « C’est nous qu’ils tuent, pas la maladie », s’indignent certains, pointant les impacts psychologiques sur les familles paysannes et la perte de lignées génétiques précieuses pour des productions locales comme les fromages AOP de Savoie. La ministre de l’Agriculture a confirmé ces mesures le 17 juillet, malgré les craintes d’un rejet des protocoles sanitaires par les agriculteurs.
Certaines critiques plus virulentes lient ces abattages à des politiques européennes de « décroissance agricole », accusant l’UE de favoriser une réduction des troupeaux sous couvert d’écologie, comme observé aux Pays-Bas avec des révoltes similaires.
Ces accusations font écho à l’héritage du commissaire européen hollandais à l’agriculture Sicco Mansholt, qui, de 1958 à 1972, a initié des réformes via le Plan Mansholt visant à moderniser l’agriculture en éliminant les petites exploitations paysannes au profit de fermes plus grandes et productives, afin d’améliorer l’efficacité et la rentabilité. Bien que motivé initialement par des objectifs économiques post-guerre pour accroître la production et éviter les famines, Mansholt a évolué vers une vision écologique en 1972, influencé par le rapport « Limits to Growth » du Club de Rome, prônant une croissance zéro ou négative pour préserver l’environnement, incluant une réduction de la production agricole, une baisse de la consommation de viande et une transition vers une agriculture plus durable. Des observateurs critiques estiment que cette orientation s’est poursuivie sans interruption dans les réformes successives de la Politique Agricole Commune (PAC), intégrant progressivement des contraintes environnementales qui pèsent davantage sur les petites fermes traditionnelles, favorisant une décroissance ciblée de l’agriculture paysanne au profit de modèles industriels ou agroécologiques à grande échelle.
Des éleveurs dénoncent un scandale économique, avec des blocages de ventes de fromages sans justification sanitaire claire, menaçant la survie de petites exploitations.
Impacts économiques et perspectives d’avenir
L’épidémie pourrait coûter cher à la filière bovine française, pilier des exportations avec des restrictions potentielles pendant 2 à 3 ans dans les zones affectées. Les fromages savoyards, comme le Beaufort ou l’Abondance, voient leurs marchés gelés, amplifiant les pertes. Psychologiquement, les éleveurs parlent d’un « traumatisme », comparant la situation à une « exécution » de leur outil de travail.
Si la stratégie officielle vise une éradication rapide, des voix appellent à une approche plus nuancée, intégrant des traitements comme l’ivermectine ou des antibiotiques, testés avec succès ailleurs. La Coordination Rurale a lancé une cagnotte solidaire pour soutenir les touchés, soulignant une mobilisation croissante. À ce stade, l’épidémie reste contenue aux Alpes, mais son évolution dépendra de l’adhésion des agriculteurs aux mesures, dans un contexte de tensions accrues entre État et monde rural.
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