En 2025, le système financier mondial, longtemps dominé par les États-Unis à travers le dollar et la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), montre des signes d’effritement. Jadis un outil neutre de messagerie pour les transactions internationales, SWIFT est devenu une arme de guerre économique, utilisée par Washington pour punir ses adversaires. Mais cette stratégie s’avère contre-productive : alliés comme ennemis se détournent du dollar et de SWIFT, développant des alternatives qui redéfinissent les rapports de force financiers. Un épisode méconnu, celui de la menace d’exclusion du Vatican de SWIFT en 2013, illustre cette politisation croissante et ses conséquences.
SWIFT : de la neutralité à l’arme économique
Créée en 1973, SWIFT est une coopérative belge qui connecte plus de 11.000 institutions financières dans 200 pays, facilitant les transferts transfrontaliers via un système de messagerie sécurisé. Sa force repose sur sa standardisation et son effet de réseau : tout le monde l’utilise, ce qui en fait un rouage essentiel du commerce mondial. Cependant, cette universalité a été compromise par son instrumentalisation par les États-Unis.
Dès 2006, des révélations ont montré que SWIFT transmettait des données à la CIA et au Trésor américain dans le cadre du Terrorist Finance Tracking Program (TFTP), une surveillance qui se poursuit aujourd’hui via la NSA. En 2012, sous la pression de United Against Nuclear Iran (UANI), SWIFT a exclu les banques iraniennes, accusées de violer les sanctions américaines et européennes. Cette décision a établi un précédent : SWIFT n’était plus neutre, mais un levier de coercition. La même logique a conduit à l’exclusion de la Corée du Nord en 2017 et de certaines banques russes en 2022 après le début du conflit en Ukraine.
Un épisode moins connu illustre cette politisation : en janvier 2013, la Banque d’Italie a suspendu les paiements électroniques vers le Vatican, invoquant des soupçons de blanchiment d’argent. Cette mesure, qui menaçait d’exclure le Vatican de SWIFT, a coïncidé avec une période de turbulences internes, culminant avec la démission de Benoît XVI un mois plus tard – un événement rare dans l’histoire de l’Église. Selon des analystes comme Gerald Posner dans son livre God’s Bankers (2015), cette pression financière, orchestrée en partie par des intérêts américains, visait à forcer des réformes au sein de la banque du Vatican, l’IOR. Bien que le Vatican ait finalement rétabli ses accès après des ajustements réglementaires, cet incident a révélé à quel point SWIFT pouvait être utilisé pour des objectifs politiques, même contre des entités non étatiques.
La riposte des nations sanctionnées et des puissances émergentes
L’armement de SWIFT a poussé de nombreux pays à développer des alternatives. Après la menace d’exclusion en 2014 suite à l’annexion de la Crimée, la Russie a lancé le System for Transfer of Financial Messages (SPFS) en 2017. En 2025, SPFS compte 177 institutions étrangères dans 25 pays, selon des données récentes du CSIS. L’Iran, exclu de SWIFT en 2012, a rejoint cette dynamique en intégrant SPFS en 2023 et en développant son propre système, ACUMER, pour contourner les sanctions.
La Chine, anticipant une hostilité croissante des États-Unis, a lancé le Cross-Border Interbank Payment System (CIPS) en 2015. En 2025, CIPS regroupe environ 4 800 institutions financières dans 182 pays, soit près de la moitié des membres de SWIFT, selon le People’s Bank of China. Bien que CIPS coexiste avec SWIFT pour certaines transactions, il permet des échanges indépendants, notamment avec la Russie, et promeut l’internationalisation du yuan – qui représente désormais 3 % des paiements mondiaux, contre 2 % en 2022, d’après SWIFT.
Le bloc BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), dont le PIB combiné dépasse celui du G7 (37 % du PIB mondial en 2025 selon le FMI), a lancé BRICS Pay en 2018. Ce système, soutenu pleinement par la Chine en octobre 2024, est en phase pilote mais pourrait devenir un rival sérieux de SWIFT, notamment grâce à l’usage potentiel de l’or comme monnaie intermédiaire, les BRICS détenant plus de 6 600 tonnes d’or, selon le World Gold Council.
Les alliés de l’Occident se détournent aussi
La défiance envers SWIFT ne se limite pas aux adversaires des États-Unis. En 2022, l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), un bloc pro-occidental de 10 pays et 600 millions d’habitants, a lancé la Regional Payment Connectivity (RPC). Ce système connecte des plateformes comme PayNow (Singapour) et PromptPay (Thaïlande), permettant des transferts directs sans passer par SWIFT ni convertir en dollars, réduisant ainsi coûts et délais. La même année, l’Union africaine a introduit le Pan-African Payment and Settlement System (PAPSS), qui contourne également SWIFT et le dollar, facilitant le commerce intra-africain.
Ces initiatives, même parmi des alliés, reflètent une méfiance croissante envers la politisation de SWIFT. Comme le note un rapport de l’Atlantic Council de 2023, « la prolifération de systèmes alternatifs montre que même les partenaires de Washington cherchent à réduire leur vulnérabilité à des sanctions financières imprévisibles ».
Le déclin du dollar et les failles de SWIFT
L’essor de ces alternatives coïncide avec l’érosion de la domination du dollar. En 2025, la part du dollar dans les réserves mondiales est tombée à 58 %, contre 71 % en 2000, selon le FMI. Des pays comme la Chine et l’Arabie saoudite explorent des échanges en yuan, une évolution impensable il y a une décennie. BRICS Pay, en s’appuyant sur des monnaies nationales et l’or, pourrait accélérer ce mouvement de « dédollarisation ».
SWIFT, quant à lui, perd de son attrait. Sa sécurité est entachée par la surveillance américaine et des cyberattaques, comme celle contre la banque centrale du Bangladesh en 2016, qui a coûté 81 millions de dollars. Sa vitesse est dépassée par des systèmes en temps réel comme RPC et PAPSS. Enfin, son universalité s’effrite à mesure que des pays se découplent, affaiblissant l’effet de réseau qui faisait sa force.
Un nouvel ordre financier mondial
L’administration Trump, réélue en 2024, a paradoxalement accéléré ce déclin. En menaçant de sanctions les pays abandonnant le dollar, Trump a provoqué une baisse de la devise – la plus forte depuis l’ère Nixon dans ses 100 premiers jours, selon Bloomberg – tout en incitant davantage de nations à chercher des alternatives. Les États-Unis restent une puissance militaire et financière, mais leur emprise sur le système financier mondial se relâche.
D’ici 2030, le paysage financier pourrait être radicalement transformé. Les systèmes comme CIPS, SPFS, BRICS Pay, RPC et PAPSS, en se développant et en s’interconnectant, offrent une alternative crédible à SWIFT. Ils permettent aux nations de préserver leur souveraineté économique et de commercer sans craindre les sanctions américaines. Comme le souligne un article de The Cradle de mai 2025, « le monde se détourne du dollar et de SWIFT, non par hostilité, mais par pragmatisme ».
Ce nouvel ordre financier, multipolaire et décentralisé, promet de redonner aux nations la maîtrise de leurs échanges, loin des diktats de Washington. L’épisode du Vatican en 2013 n’était qu’un avant-goût : aujourd’hui, le monopole de SWIFT et du dollar s’effrite, ouvrant la voie à un système plus équitable, où la diversité économique et culturelle des nations est enfin respectée.
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