Une réponse aux défis énergétiques ?
Le nucléaire, longtemps relégué au second plan après la catastrophe de Fukushima en 2011, connaît une renaissance spectaculaire à l’échelle mondiale. Face aux crises énergétiques, à la nécessité de décarbonation et à l’instabilité des énergies renouvelables intermittentes, de nombreux pays réévaluent leur position sur cette technologie. Cet article explore les dynamiques de ce retour en force, en s’appuyant sur des exemples concrets et des analyses récentes, tout en intégrant des perspectives critiques sur les politiques énergétiques.
Un revirement mondial après Fukushima
En 2011, le tsunami de Fukushima a marqué un coup d’arrêt pour le nucléaire. L’Allemagne a décidé de sortir complètement de cette énergie d’ici 2023, et d’autres nations, comme la Belgique et le Danemark, ont imposé des moratoires. Cependant, le contexte a changé. Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), parle aujourd’hui d’une « renaissance du nucléaire ». Cette déclaration est d’autant plus significative que l’AIE, initialement créée pour promouvoir les intérêts des pays importateurs de pétrole, reconnaît désormais le rôle clé du nucléaire dans la transition énergétique.
Ce revirement s’observe dans les politiques nationales. En Belgique, le 15 mai 2025, les députés ont abrogé une loi vieille de vingt ans qui prévoyait la sortie du nucléaire, prolongeant ainsi la durée de vie des réacteurs. Au Danemark, le même jour, le Parlement a autorisé une exploration du potentiel nucléaire, levant un interdit datant de 1985. En France, après des années de tergiversations, Emmanuel Macron a annoncé en 2022 la construction de nouveaux réacteurs EPR, marquant un retour à une vision stratégique de long terme. Ailleurs, la Chine prévoit de construire 150 nouveaux réacteurs d’ici 2035, et l’Inde ambitionne de tripler sa capacité nucléaire d’ici 2030.
Les raisons d’un retour en grâce
Plusieurs facteurs expliquent ce regain d’intérêt. Premièrement, le nucléaire offre une énergie décarbonée et stable, essentielle pour atteindre les objectifs climatiques. Contrairement aux énergies renouvelables intermittentes comme l’éolien et le solaire, le nucléaire garantit une production continue, cruciale pour les économies industrielles. La France, avec un mix électrique à 95 % décarboné grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité, illustre cet avantage comparatif. Selon le GIEC, le nucléaire émet seulement 12 g de CO2 par kWh, contre 500 g pour le gaz et plus de 800 g pour le charbon.
Deuxièmement, la crise énergétique mondiale, exacerbée par la guerre en Ukraine, a révélé les limites des énergies fossiles et des renouvelables. L’Allemagne, qui a misé massivement sur l’éolien et le solaire (50 % de sa puissance installée), dépend toujours du charbon et du gaz pour 60 % de sa production électrique. Cette situation a conduit à une flambée des prix de l’électricité et à une pollution accrue, avec des particules fines responsables, selon certaines estimations, de 200 000 décès depuis Fukushima.
Enfin, le nucléaire est perçu comme un outil de souveraineté énergétique. Les pays cherchent à réduire leur dépendance aux importations de gaz, notamment russe (à cause des sanctions que l’UE s’est auto-infligées), mais aussi américaines (gaz de schiste obtenu en majorité par fracturation hydraulique, procédé interdit en France pour des raisons écologiques).
Les défis d’une renaissance
Malgré cet engouement, le retour du nucléaire n’est pas sans obstacles. En France, la filière a été affaiblie par des décennies de sous-investissement et des décisions politiques court-termistes. En 2017, Emmanuel Macron promettait de réduire la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique, une décision critiquée pour son manque de vision industrielle. La fermeture de la centrale de Fessenheim en 2020, sous la pression d’accords électoraux avec les Verts, a exacerbé la perte de compétences. Aujourd’hui, la France manque de soudeurs, d’ingénieurs et de techniciens qualifiés pour relancer la filière.
À l’échelle mondiale, les coûts et les délais de construction des réacteurs posent problème. L’EPR de Flamanville, en France, a accumulé des retards et des surcoûts, passant de 3,3 milliards d’euros estimés en 2005 à plus de 13 milliards en 2025. Cependant, des innovations, comme les petits réacteurs modulaires (SMR), promettent de réduire ces contraintes. Des pays comme le Canada et la Corée du Sud investissent massivement dans cette technologie, qui pourrait démocratiser l’accès au nucléaire.
Une critique des énergies renouvelables intermittentes
Le retour du nucléaire s’accompagne d’une remise en question des énergies renouvelables, en particulier de l’éolien. Une tribune publiée dans Le Point en 2025, signée par des figures comme Henri Proglio (ancien PDG d’EDF) et Louis Gallois (ex-patron d’Airbus), dénonce le développement « à marche forcée » de l’éolien en France. Selon les auteurs, cette politique, soutenue par des subventions massives, a fait grimper les factures d’électricité de 120 % en douze ans, contribuant à la précarité énergétique de 14 millions de Français en 2024. Les éoliennes, prioritaires sur le réseau européen grâce à un prix de marché quasi nul, obligent les centrales nucléaires à réduire leur production, ce qui renchérit les coûts.
Cette critique pointe également des ingérences étrangères. En Allemagne, des fondations comme Heinrich Böll, liées aux Verts, ont financé des campagnes antinucléaires en France, notamment via des ONG comme Greenpeace et WWF. Ces organisations, parfois soutenues indirectement par des intérêts gaziers américains, promeuvent les renouvelables au détriment du nucléaire, affaiblissant la souveraineté énergétique française.
Vers une planification de long terme
Le nucléaire exige une vision stratégique, loin des calculs électoraux. Comme le souligne Fabien Bouglé, essayiste et expert en politique énergétique, « l’énergie est le sang de l’économie ». Une planification gaullienne, sur 20 à 30 ans, est nécessaire pour reconstruire la filière, former des ingénieurs et garantir une énergie abordable et décarbonée. La France, avec son savoir-faire historique, pourrait redevenir un leader mondial, à condition de ne pas céder aux pressions idéologiques.
Cette renaissance ne signifie pas l’abandon des renouvelables, mais une complémentarité intelligente. Les panneaux solaires individuels, par exemple, peuvent répondre à des besoins locaux sans déstabiliser le réseau. En revanche, les « usines » éoliennes ou photovoltaïques à grande échelle, souvent imposées sans études d’impact, sont critiquées pour leur inefficacité et leur coût social.
Conclusion
La reprise du nucléaire, observée en Belgique, au Danemark, en Chine ou en France, marque un tournant dans la quête d’une énergie fiable, décarbonée et souveraine. Si des défis subsistent, notamment en termes de coûts et de compétences, le nucléaire apparaît comme une réponse incontournable aux crises énergétique et climatique. Pour réussir, les gouvernements devront adopter une vision de long terme, résister aux lobbies antinucléaires et investir dans l’innovation. Comme le résume Fabien Bouglé, « le nucléaire n’est pas un jouet politique, c’est une industrie d’excellence ». À l’heure où l’énergie redevient un enjeu géopolitique majeur, cette renaissance pourrait redessiner la carte énergétique mondiale.
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