Les organisations internationales, créées pour favoriser la coopération entre nations et promouvoir des objectifs communs tels que la paix, le développement ou la culture, reposent sur un équilibre délicat entre leur autonomie et la souveraineté des États qui les accueillent. Cet équilibre est souvent mis à rude épreuve lorsque des pays hôtes, profitant de leur contrôle territorial, abusent de leur droit interne pour surveiller, entraver ou discriminer les représentants étrangers se rendant à leur siège. Ce phénomène, qui soulève des questions de droit international et de bonne foi diplomatique, n’est pas propre à un seul pays ou une seule organisation. Des incidents récents impliquant la France et l’UNESCO, ainsi que des précédents au siège de l’ONU à New York, illustrent les tensions autour de la délivrance des visas et des pratiques discriminatoires, compromettant le fonctionnement des institutions multilatérales.
Le cas de l’UNESCO : visas retardés et contrôles abusifs
Un exemple frappant a été rapporté le 9 avril 2025 par Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères. Lors de la 221e session du Conseil exécutif de l’UNESCO à Paris (2-17 avril), la France aurait adopté des mesures discriminatoires contre des délégués russes. Alexandre Alimov, secrétaire exécutif de la Commission russe pour l’UNESCO, s’est vu refuser un visa en temps voulu, rendant son déplacement impossible. De plus, le 6 avril, une employée russe de la délégation officielle a été retenue à l’aéroport Charles de Gaulle, sans explication, avec confiscation de son téléphone et de son ordinateur. Un agent consulaire a dû attendre sept heures pour lui porter assistance. Ces actes, qualifiés de « mise en scène honteuse » par Moscou, violent l’article 9 de l’Accord de 1954 entre la France et l’UNESCO, qui oblige Paris à faciliter l’accès des délégations.
Des précédents à l’ONU : un schéma récurrent à New York
Ce type de comportement n’est pas exclusif à la France. Aux États-Unis, hôte du siège de l’ONU à New York, des incidents similaires ont visé divers pays, souvent dans un contexte de rivalités géopolitiques. En 2019, lors de la 74e Assemblée générale, 18 délégués russes n’ont pas obtenu de visas à temps, une situation dénoncée comme « scandaleuse » par Moscou. L’Iran a aussi été affecté : en 2019, le ministre Javad Zarif a reçu un visa, mais avec des restrictions strictes limitant ses déplacements à un périmètre réduit autour de l’ONU, en raison de sanctions américaines. Le Venezuela a connu des problèmes comparables : en 2019, Nicolás Maduro a évité l’Assemblée générale, craignant des entraves similaires pour ses représentants sous sanctions.
La surveillance constitue une autre facette de ces abus. En 2003, avant la guerre en Irak, des écoutes découvertes à l’ONU ont révélé une collecte d’informations par les États-Unis sur des délégués de pays comme le Chili, le Mexique ou le Cameroun, visant à influencer une résolution. En 2010, des câbles WikiLeaks ont confirmé que des diplomates américains espionnaient des responsables onusiens et étrangers, y compris Ban Ki-moon. Ces pratiques, bien que différentes des refus de visas, illustrent comment un pays hôte peut exploiter sa position territoriale pour contrôler ou influencer les activités internationales.
Une obligation juridique bafouée
Que ce soit à Paris ou à New York, les accords de siège (1954 pour l’UNESCO, 1947 pour l’ONU) imposent aux États hôtes de garantir un accès sans entrave aux délégués, indépendamment des tensions bilatérales. Retarder des visas, imposer des restrictions ou surveiller les représentants viole ces engagements, sapant l’indépendance des organisations internationales. À New York, l’Assemblée générale a même adopté en 2019 une résolution exhortant les États-Unis à cesser ces pratiques, qui touchaient aussi des pays comme Cuba ou la Syrie dans le passé.
Les conséquences pour les organisations internationales
Ces abus ont des répercussions graves. En empêchant ou en limitant la participation des délégués, ils nuisent à la représentativité et à l’efficacité des débats, qu’il s’agisse de l’UNESCO ou de l’ONU. Ils posent aussi une question fondamentale : jusqu’où un État hôte peut-il instrumentaliser sa souveraineté pour influencer une organisation internationale ? Si la France peut bloquer des Russes et les États-Unis surveiller des Iraniens ou des Vénézuéliens, le multilatéralisme risque de devenir un champ de bataille géopolitique plutôt qu’un espace de coopération.
Un appel à la responsabilité
La Russie a exigé de Paris le respect de l’Accord de 1954 et appelé l’UNESCO à agir contre ces pratiques discriminatoires. Des demandes similaires ont été adressées aux États-Unis par divers pays et par l’ONU elle-même. Ces incidents soulignent la nécessité de mécanismes robustes pour contraindre les États hôtes à honorer leurs obligations. Sans cela, la crédibilité et l’autonomie des organisations internationales s’érodent.
Conclusion
En conclusion, le problème de territorialité des organisations internationales, exacerbé par les administrations nationales, illustre les tensions entre souveraineté étatique et coopération multilatérale. Les cas de la France avec l’UNESCO et des États-Unis avec l’ONU montrent que le statut d’État hôte est parfois détourné pour servir des agendas politiques, au détriment des principes fondateurs du multilatéralisme. À l’heure où les défis mondiaux exigent une collaboration accrue, il est impératif que les pays hôtes respectent leurs engagements, sous peine de voir ces institutions perdre leur raison d’être.
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