Un rapport publié cette semaine par le centre de réflexion MCC Brussels accuse le programme Jean Monnet de l’Union européenne (UE) d’être une « machine de propagande » financée par les contribuables, transformant les universités en vecteurs d’influence pro-UE. Intitulé Professors of Propaganda: How the EU’s Jean Monnet Programme Corrodes Academia, ce document rédigé par le journaliste Thomas Fazi soulève un débat vif sur la frontière entre soutien à la recherche et ingérence idéologique. Alors que l’UE vante le programme Jean Monnet comme un pilier de l’éducation européenne, ses détracteurs y voient une menace pour la liberté académique. Retour sur cette polémique, alimentée par des financements massifs et des critiques récurrentes.
Qu’est-ce que le programme Jean Monnet ?
Lancé en 1989 et intégré depuis 2014 au programme Erasmus+, ce programme vise à promouvoir l’enseignement, la recherche et le débat sur l’intégration européenne dans les établissements d’enseignement supérieur du monde entier. Selon le site officiel d’Erasmus+, il soutient des chaires, modules et centres d’excellence dédiés aux études sur l’UE, ses institutions, sa politique et son histoire, avec un budget annuel estimé à 25 millions d’euros.
L’objectif déclaré est de « stimuler l’enseignement et la recherche sur l’intégration européenne » et de « sensibiliser les étudiants et la société aux enjeux de l’UE ».
Parmi ses réalisations, le programme a financé plus de 2.500 projets dans plus de 100 pays, formant des milliers d’académiciens et étudiants. Des initiatives comme les chaires Jean Monnet – attribuées à des professeurs pour développer des cours sur l’UE – ou les réseaux d’excellence sont présentées comme des outils pour « favoriser l’excellence dans les études européennes ». Par exemple, l’Université d’Oradea en Roumanie ou l’Université d’État de Sumy en Ukraine mettent en avant son rôle dans l’élévation du niveau de connaissance sur l’UE. L’UE insiste sur le fait que ces actions ne sont pas limitées aux États membres, mais visent une diplomatie publique globale, en transformant les professeurs en « ambassadeurs » de l’intégration européenne.
Les accusations de propagande : un rapport qui fait des vagues
Le rapport de Thomas Fazi, publié le 17 septembre 2025 par MCC Brussels – un think tank proche du gouvernement hongrois de Viktor Orbán –, dépeint le programme Jean Monnet comme un « réseau mondial de propagande financé par les contribuables ».
L’auteur argue que ce programme, loin d’être neutre, injecte des narratifs pro-UE dans les salles de classe, en alignant la recherche sur les priorités de Bruxelles et en marginalisant les voix dissidentes, comme l’euro-scepticisme ou les critiques de l’intégration.
« Ce n’est pas une initiative académique neutre, mais un instrument puissant pour ancrer la propagande pro-UE », écrit Thomas Fazi, soulignant que les fonds publics – environ 25 millions d’euros par an – transforment les universités en « véhicules de propagande institutionnelle ».
Thomas Fazi dénonce un « complexe UE-ONG-médias-académie » où le programme récompense la conformité idéologique : les projets financés doivent promouvoir une « identité européenne » et combattre la « désinformation » anti-UE, au détriment de l’enquête critique. Il cite des exemples de chaires qui intègrent des thèmes comme la lutte contre le populisme ou la promotion de l’unité européenne, arguant que cela érode la liberté académique en décourageant les recherches non alignées. Le rapport s’appuie sur des analyses antérieures, comme celles de l’auteur sur la « hijacking » de l’Europe par une élite, et appelle implicitement à une révision du financement public pour préserver l’intégrité scientifique.
Sur les réseaux sociaux, le rapport a rapidement fait le buzz, avec de nombreux partages et commentaires qui le relie à des critiques plus larges sur l’autonomie des universités. Certains ironisent sur le fait que « personne n’est surpris » par ces allégations.
Réponses et contre-critiques
Le rapport n’a pas tardé à susciter des réactions vives. Alberto Alemanno, professeur « Jean Monnet » en droit européen à HEC Paris, l’a qualifié de « pseudo-rapport » issu de la « machine de propagande de Viktor Orbán », accusant MCC Brussels de discréditer systématiquement les initiatives pro-UE. « Ne manquez pas cela : la machine de propagande d’Orbán a publié un rapport pseudo-scientifique qualifiant tous les professeurs Jean Monnet de ‘propagandistes' », a-t-il tweeté le 18 septembre. (Voici tout de même son pédigee : Alberto a été nommé Young Global Leader par le Forum économique mondial de Davos en 2015, Ashoka Fellow en 2019 et Social Innovation Thought Leader par la Fondation Schwab pour l’entrepreneuriat social en 2022 – Source).
Cette critique n’est pas isolée. Un article des Times Higher Education de 2004 rapportait des appels à « fermer les outlets de propagande euro » financés par les universités et les contribuables. Des études académiques, comme celle de Federica Bicchi sur le rôle du Jean Monnet en diplomatie publique, admettent que le programme utilise les professeurs comme « proxies » pour promouvoir l’UE, mais le présentent comme un outil légitime de soft power plutôt que de la propagande.
D’un autre côté, un rapport du Parlement européen de 2023 sur la liberté académique dans l’UE ne mentionne pas explicitement le Jean Monnet comme une menace, mais souligne des pressions plus larges sur l’autonomie universitaire, y compris via des financements européens. Des défenseurs du programme, comme le site de la Cultural Relations Platform, insistent sur son impact positif : promotion de l’excellence et sensibilisation sociétale sans contrainte idéologique (SIC).
Un débat plus large sur le financement et la neutralité
Cette polémique s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes autour du financement public de la recherche. Alors que l’UE alloue des milliards via Horizon Europe et Erasmus+ pour des priorités stratégiques – comme la transition verte ou la souveraineté numérique –, des voix critiques y voient une forme de conditionnalité idéologique. Le programme Jean Monnet, avec son focus flagrant sur l’intégration européenne, cristallise ces débats : est-il un vecteur d’éducation ou un moyen de « combattre l’euro-scepticisme » au prix de la pluralité ?
De son côté, l’UE maintient que le programme est évalué sur des critères d’excellence et non d’alignement politique.
En conclusion, comme le met en lumière le rapport de Fazi, le programme Jean Monnet opère comme un réseau de propagande financé par les contribuables, érodant la liberté académique en favorisant une conformité idéologique pro-UE au détriment des perspectives critiques et pluralistes.
Cette instrumentalisation des universités appelle à une révision urgente des financements privés et publics pour restaurer l’intégrité et la neutralité de la recherche académique.
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