Le 8 mai 2025, à 18h10, le cardinal Robert Francis Prevost, un Américain de 69 ans né le 14 septembre 1955 à Chicago, est devenu le 267e pape sous le nom de Léon XIV, marquant un tournant historique comme le premier souverain pontife nord-américain. Élu au quatrième scrutin par les 133 cardinaux réunis en conclave, cet augustinien discret mais influent succède au pape François, décédé le 21 avril 2025. À travers son parcours, ses positions et son profil, il est possible de dresser un portrait analytique de ce nouveau pape et d’anticiper son positionnement face au courant traditionaliste au sein de l’Église catholique.
Un parcours marqué par la diversité et l’engagement pastoral
Robert Francis Prevost est un homme d’Église aux racines plurielles – un père d’origine française et italienne, une mère d’origine espagnole – et au parcours académique et spirituel riche. Après des études en mathématiques à l’université Villanova (bachelor en 1977), il s’engage dans l’Ordre de Saint-Augustin en 1977, prononçant ses vœux définitifs en 1981. Il complète sa formation par une licence en théologie à la Catholic Theological Union de Chicago (1982) et un doctorat en droit canonique à l’université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin (Angelicum) à Rome (1987), avec une thèse sur le rôle du prieur dans son ordre.
Son ministère débute comme missionnaire au Pérou, une expérience qui le marque profondément. De 1985 à 1998, avec une interruption en 1987-1988, il sert comme chancelier de la prélature de Chulucanas, puis comme professeur de droit canonique et directeur du séminaire de Trujillo. Cette immersion dans les « périphéries » – un concept cher au pape François – forge sa sensibilité pastorale envers les pauvres et les marginalisés. De retour aux États-Unis, il gravit les échelons au sein de l’Ordre des Augustins, devenant supérieur provincial de la province du Midwest en 1998, puis prieur général mondial de 2001 à 2013, élu en un temps record de 20 minutes, signe de son charisme et de son consensus.
Nommé évêque de Chiclayo au Pérou en 2014, il y exerce un ministère marqué par la stabilité économique de la région, située sur la route Panaméricaine. En 2023, le pape François le rappelle à Rome pour diriger le Dicastère pour les évêques, un poste stratégique qui fait de lui le « DRH » de l’Église, chargé de nommer les évêques du monde entier. Élevé cardinal-diacre en septembre 2023, puis cardinal-évêque d’Albano en février 2025, Prevost s’impose rapidement comme une figure centrale de la Curie, membre de sept dicastères et de la Commission pour l’État du Vatican.
Un profil modéré et consensuel
Léon XIV est souvent décrit comme un réformateur modéré, capable de concilier des points de vue divergents. Son élection rapide – en seulement quatre scrutins sur deux jours – témoigne de son profil consensuel, comme le souligne l’historien Frédéric Lenoir sur France 2 : « C’est forcément quelqu’un que les cardinaux connaissaient bien, un pape assez consensuel, plutôt au centre. » Proche collaborateur de François, Prevost partage son engagement pour les « périphéries », notamment les pauvres, les migrants et l’environnement. Il soutient les réformes pastorales, comme l’accès à la communion pour les divorcés remariés, et promeut la synodalité, un processus d’écoute et de dialogue au sein de l’Église.
Sur les questions morales, il adopte une ligne conservatrice mais nuancée. Il maintient la doctrine traditionnelle sur des sujets comme l’avortement, l’euthanasie, la PMA ou l’ordination des femmes, mais sans en faire un cheval de bataille. Concernant les droits LGBTQ+, il est perçu comme modéré, s’opposant à l’ « idéologie » tout en prônant une approche pastorale d’inclusion, dans la lignée de François. Sa devise épiscopale, « In Illo uno unum » (« un seul en un seul Christ »), tirée de saint Augustin, reflète son attachement à l’unité et à la communion, des valeurs qu’il entend porter à la tête de l’Église.
Cependant, son parcours n’est pas exempt de controverses. En 2000, alors qu’il était provincial à Chicago, Prevost a autorisé un prêtre accusé d’abus sexuels, James Ray, à résider dans un prieuré proche d’un lycée catholique sans en informer les responsables. Bien que Ray ait été surveillé et déplacé en 2002, cet épisode, relevé dans des posts sur X, pourrait ternir son image, notamment dans un contexte où l’Église est attendue sur la fermeté face à la pédocriminalité. Prevost, conscient de ce défi, est décrit comme ferme sur la question des abus, un point qu’il pourrait prioriser dans son pontificat.
Anticipation de sa position face au courant traditionaliste
Le courant traditionaliste au sein de l’Église catholique, qui regroupe des fidèles et des prélats attachés à la liturgie tridentine et à une interprétation stricte de la doctrine, a souvent été en tension avec les réformes de François. Ce dernier avait restreint l’usage de la messe en latin par le motu proprio Traditionis Custodes (2021), provoquant des remous parmi les traditionalistes, certains allant jusqu’à accuser François de « détruire » la tradition.
Léon XIV, en tant que modéré aligné sur l’héritage de François, devrait maintenir une ligne équilibrée mais ferme face à ce courant. Son passé augustinien et sa formation en droit canonique suggèrent un profond respect pour la tradition liturgique, mais ses années au Pérou et son soutien à la synodalité indiquent une ouverture aux adaptations culturelles et aux réalités modernes. Il est peu probable qu’il revienne sur les restrictions imposées par Traditionis Custodes, car cela irait à l’encontre de l’esprit de communion qu’il prône. Cependant, son sens du dialogue pourrait l’amener à tendre la main aux traditionalistes, non pas en cédant sur le fond, mais en favorisant un accompagnement pastoral pour éviter une rupture.
Sur des questions doctrinales, comme l’accès des femmes à des rôles de gouvernance ou l’accueil des personnes LGBTQ+, Léon XIV risque de décevoir les traditionalistes. Sa position modérée – favorable à l’inclusion sans changement doctrinal – pourrait être perçue comme un prolongement des « dérives progressistes » qu’ils reprochaient à François. Par exemple, son discours inaugural, où il appelle à « construire des ponts » et à dire « non au Mal », laisse entendre une volonté de dialogue avec le monde contemporain, une approche que les traditionalistes pourraient juger trop conciliante.
En revanche, son attachement à l’unité de l’Église pourrait le pousser à éviter une confrontation directe. Il pourrait chercher à apaiser les tensions en valorisant certains aspects de la tradition – comme la richesse spirituelle de saint Augustin – tout en insistant sur la nécessité d’une Église « en sortie », tournée vers les périphéries. Sa double identité, américaine mais profondément marquée par l’Amérique latine, lui donne une sensibilité unique pour naviguer entre les attentes des Églises du Nord et du Sud, un atout pour gérer les divisions internes.
Un pontificat sous le signe de l’unité et du dialogue
Léon XIV incarne une continuité réformiste dans la lignée de François, avec une touche de pragmatisme américain et une sensibilité latino-américaine. Face au courant traditionaliste, il devrait privilégier le dialogue et l’unité, tout en maintenant les grandes orientations de son prédécesseur. S’il est peu probable qu’il cède aux revendications des traditionalistes sur la liturgie ou la doctrine, son style pastoral et son sens de l’écoute pourraient permettre de limiter les fractures, à condition que des controverses comme celle de 2000 ne resurgissent pas pour fragiliser son autorité. Dans un contexte où l’Église fait face à des défis majeurs – perte d’influence en Europe, pédocriminalité, tensions géopolitiques –, Léon XIV devra faire preuve de fermeté et de finesse pour guider les 1,4 milliard de catholiques vers une espérance renouvelée.
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