Les Chouans et la guerre de Vendée : un génocide oublié par la République
La guerre de Vendée (1793-1796) et le soulèvement des Chouans constituent une page tragique et délibérément occultée de l’Histoire de France. Ce conflit, qui opposa les paysans vendéens et chouans à la République révolutionnaire, fut marqué par une violence d’une ampleur et d’une cruauté inouïes, orchestrée par un pouvoir central décidé à écraser toute opposition à son idéologie. Qualifiée de génocide par certains historiens comme Reynald Secher et juristes comme Jacques Villemain, cette période révèle une République capable des pires exactions contre son propre peuple, des horreurs qui n’ont rien à envier aux méthodes nazies. Pourtant, tous les gouvernements républicains successifs, de la Révolution à nos jours, ont choisi d’effacer cette mémoire, se réclamant d’une République idéalisée tout en occultant ses crimes fondateurs. Cet article propose une plongée dans cette période sombre, en mettant en lumière les atrocités commises et en dénonçant l’hypocrisie d’un récit national qui refuse d’assumer son passé.
Les origines du soulèvement : une révolte populaire contre l’oppression républicaine
En 1793, la France est en proie à une instabilité majeure. La Révolution, qui avait promis liberté, égalité et fraternité, sombre dans la Terreur sous la férule des éléments les plus radicaux, comme Robespierre et le Comité de Salut public. Dans ce contexte, la Vendée, région à cheval sur les anciennes provinces de Bretagne, d’Anjou et du Poitou, se soulève. Contrairement au discours républicain qui caricature les Vendéens comme des contre-révolutionnaires fanatiques, ce soulèvement n’est pas initialement politique, mais profondément religieux et social.

Les paysans vendéens, très majoritairement catholiques, s’opposent à la suppression de la liberté de culte décrétée par la République. Dès 1790, la Constitution civile du clergé impose aux prêtres de prêter serment à la République plutôt qu’à l’Église, transformant les ecclésiastiques en fonctionnaires. Les prêtres réfractaires, qui refusent ce serment, sont chassés, pourchassés, emprisonnés, voire déportés ou exécutés – des tombes de prêtres vendéens ont été découvertes en Guyane, témoignage de cette répression. Parallèlement, la vente des biens de l’Église (1790-1791), censée permettre aux paysans de racheter leurs terres, se transforme en fiasco, les terres étant accaparées par des bourgeois ou des républicains locaux. Enfin, la levée en masse de 300.000 hommes décrétée en mars 1793 pour combattre aux frontières de l’Est achève de mettre le feu aux poudres. Les jeunes Vendéens refusent d’être enrôlés de force, d’autant que le tirage au sort est truqué : les riches et les républicains peuvent s’exempter, tandis que les pauvres n’ont d’autre choix que de partir ; d’autant plus que la période des moissons approchant, les familles ne pouvaient se passer de cette main d’œuvre indispensable aux travaux des champs et à leur survie.
Entre le 10 et le 14 mars 1793, l’insurrection éclate. À Saint-Florent-le-Vieil, Machecoul et ailleurs, les paysans se soulèvent, choisissant des chefs locaux, souvent d’anciens officiers comme Charette, Lescure ou La Rochejaquelein, parfois des hommes du peuple comme Cathelineau. Contrairement à la chouannerie, qui reste plus éparse, les Vendéens parviennent à fédérer une véritable armée, la Grande Armée catholique et royale, unifiée sous un commandement central. Ce soulèvement n’est pas une révolte contre la République en tant que telle, mais une défense de leur foi et de leur mode de vie, que la Convention cherche à anéantir au nom d’une prétendue régénération.
La République face à l’insurrection : une politique d’extermination
Face à cette révolte, les dirigeants révolutionnaires adoptent une stratégie d’une violence inouïe. Dès l’été 1793, après plusieurs défaites face aux Vendéens – notamment à Torfou, où les troupes républicaines subissent des pertes importantes –, le Comité de Salut public décide de passer à une répression systématique. Le 1er août 1793, une loi ordonne la destruction totale de la Vendée : « Les forêts seront abattues, les repaires des rebelles seront détruits, les récoltes seront coupées […], le bétail sera saisi. » Le 26 juillet, une réunion au pavillon de Flore, réunissant les membres du Comité, marque, selon Reynald Secher, le basculement dans une logique génocidaire : il s’agit d’exterminer les insurgés, de déporter femmes, enfants et vieillards, de massacrer les hommes et de nationaliser les terres vendéennes pour les repeupler avec une population jugée plus conforme aux idéaux républicains.
Cette politique culmine avec la Virée de Galerne (octobre-décembre 1793) et les colonnes infernales (janvier-mai 1794). Après la défaite des Vendéens à Cholet (17 octobre 1793), environ 90.000 Vendéens – hommes, femmes, enfants, vieillards – fuient vers le nord en traversant la Loire, espérant rejoindre les émigrés royalistes en Angleterre. Ce qu’ils vivent est un calvaire : dysenterie, typhus, faim et massacres. À Granville, puis au Mans, les armées républicaines massacrent indistinctement civils et combattants. À Savenay, en décembre 1793, le général Westermann achève cette campagne en déclarant : « La Vendée n’existe plus. » Sur les 90.000 personnes ayant franchi la Loire, seuls 3.000 à 5.000 survivent.

Les colonnes infernales, dirigées par le général Turreau à partir de janvier 1794, marquent l’apogée de cette politique d’extermination. Douze colonnes, composées de 12.000 hommes sur un total de 40.000 mobilisés, sillonnent la Vendée, avec pour mission de tout détruire sur leur passage. Villages, églises, châteaux, forêts sont brûlés ; les puits sont empoisonnés ; le bétail est abattu. Les habitants, qu’ils soient insurgés ou non, sont massacrés sans distinction. Jacques Villemain, juriste spécialiste du droit pénal international, qualifie ces actes de génocide : « On tue parce qu’ils sont Vendéens, et non pour ce qu’ils font. » Même les élus républicains locaux, qui tentent de prouver leur loyauté, sont exécutés. Un arrêté de réquisition de charrettes, découvert dans les archives, est explicite : « Le pays révolté va être traversé par 12 formidables colonnes républicaines qui vont en exterminer les infâmes habitants et en retirer les subsistances. »
Des horreurs comparables aux pires crimes du XXe siècle
Les méthodes employées par les colonnes infernales et les armées républicaines sont d’une barbarie qui évoque les pires crimes du XXe siècle, y compris ceux des nazis. Les témoignages et archives révèlent des atrocités systématiques : décapitations, viols, éventrations de femmes enceintes, enfants empalés ou jetés vivants dans des fours à pain. À Nantes, sous l’égide de Carrier, des milliers de Vendéens, dont des prêtres réfractaires, sont noyés dans la Loire lors des tristement célèbres « noyades de Nantes » que les bourreaux baptisent Mariage Républicains (les couples étaient attachés face à face puis précipités dans la Loire). On rapporte également l’usage de la « fonte des graisses » humaines, où les corps des victimes sont brûlés pour en extraire la graisse, une pratique qui rappelle les expérimentations macabres des camps nazis.

Les Vendéens sont déshumanisés dans le discours républicain, animalisés pour justifier ces horreurs. Les correspondances des représentants en mission, comme Carrier, Garrau ou Francastel, les décrivent comme des « bêtes féroces », des « nuisibles » ou un « troupeau de cochons » qu’il faut éradiquer. Cette rhétorique, qui nie l’humanité des victimes, est un préalable classique aux génocides, que l’on retrouve dans les discours nazis. Les soldats républicains, encouragés par leurs supérieurs, agissent en conséquence : violer une femme vendéenne est « naturel » car elle n’est qu’une « bête » ; tuer un enfant est légitime car c’est une « vipère ».
Le bilan est effroyable. Sur une population vendéenne estimée à 600.000 habitants, entre 170.000 et 250.000 personnes, soit 22 à 30 %, sont tuées entre 1793 et 1794. Ce massacre de masse, planifié et organisé, ne peut être réduit à un simple « dérapage » ou à des « crimes de guerre », comme le prétend le discours républicain dominant. Jacques Villemain, dans ses travaux, démontre qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité, voire d’un génocide, au sens juridique du terme : une « attaque généralisée ou systématique contre une population civile » visant à « détruire, en tout ou en partie, un groupe humain identifié comme tel ».
La République et le mémoricide : un silence coupable
La République, qui se proclame héritière des idéaux de 1789, a choisi d’effacer cette période de son récit national, un processus que Reynald Secher qualifie de « mémoricide ». Dès le 9 thermidor (27 juillet 1794), avec la chute de Robespierre, la Convention feint de découvrir les horreurs commises en Vendée, se dédouanant de toute responsabilité. Carrier est jugé et guillotiné, mais ce procès est une mascarade : il sert à absoudre les véritables responsables, à savoir les membres du Comité de Salut public, comme Carnot, qui ont approuvé les plans d’extermination de Turreau tout en évitant de s’impliquer explicitement. Ce mécanisme consistant à donner des ordres implicites pour obtenir des « résultats » sans se salir les mains rappelle les méthodes encore utilisées aujourd’hui par nos gouvernants.
A partir de 1848, la France, même sous l’épisode Impérial de Napoléon III s’emploie à détruire les traces de la mémoire vendéenne. Les statues de chefs vendéens comme Charette ou Cathelineau sont démolies, les vitraux commémoratifs brisés, les documents brûlés. Les historiens officiels, comme Michelet, fabriquent un récit où la répression est justifiée par « l’idéal révolutionnaire », présentant les Vendéens comme des contre-révolutionnaires arriérés. Jusqu’aux années 1980, la guerre de Vendée reste un « non-sujet » dans l’université française, dominée par une école marxiste qui refuse d’analyser les faits pour ne pas écorner le mythe révolutionnaire. François Furet, historien initialement issu de la gauche, évolue sur ce sujet après avoir lu les travaux de Secher, reconnaissant peu avant sa mort que la Vendée fut bien un génocide – une prise de position qui lui vaut des critiques virulentes.
Ce mémoricide est d’autant plus scandaleux que la République continue de se réclamer des idéaux de 1789, tout en occultant leurs dérives. La Révolution est présentée comme une « violence rédemptrice », une « accoucheuse de l’Histoire », un discours qui perdure jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991. Depuis, le discours républicain a évolué, reprenant la rhétorique thermidorienne : « On ne savait pas, cela s’est fait dans notre dos. » Cette hypocrisie est insupportable. Comment une République qui se dit garante des droits humains peut-elle ignorer qu’elle a, dès ses origines, planifié l’extermination d’une partie de son peuple ? Comment peut-elle célébrer la Déclaration des droits de l’homme tout en ayant, dès 1789, selon Secher, mis en place une logique de Terreur visant à « régénérer » la société par la violence ?
Les Chouans : une résistance parallèle, mais différente
Parallèlement à la guerre de Vendée, la chouannerie, qui éclate principalement en Bretagne et en Normandie, partage des racines similaires mais se distingue par son organisation. Les Chouans, nommés d’après leur chef Jean Chouan, adoptent une tactique de guérilla, opérant en petits groupes épars, contrairement à l’armée unifiée des Vendéens. Leur soulèvement est également motivé par le rejet de la Constitution civile du clergé et de la levée en masse, mais il est plus marqué par une fidélité à la monarchie. La chouannerie, qui débute dès 1791 et se prolonge jusqu’en 1800, est moins centralisée et donc plus difficile à réprimer, mais elle subit elle aussi une répression féroce, bien que moins systématique que celle infligée aux Vendéens.
La mémoire vendéenne : une résilience face à l’oubli
Malgré ce mémoricide, la mémoire vendéenne a survécu grâce à la résilience de ses habitants. À la Chapelle-Basse-Mer, comme le souligne Secher, les descendants, même à cinq ou six générations d’écart, conservent une mémoire orale intacte des massacres, notamment des exactions contre les femmes, les enfants et les vieillards. L’association Souvenir vendéen, fondée en 1932, joue un rôle clé dans la préservation de cette mémoire, publiant des revues historiques et organisant des conférences, comme celle de Jacques Villemain à Vertou en 2023. Le Puy du Fou, à travers ses spectacles et le film Vaincre ou mourir (2023), a également contribué à raviver cette mémoire, malgré les critiques acerbes de la presse et des universitaires de gauche, qui persistent à nier l’ampleur des crimes républicains.
Cette résilience se manifeste aussi dans le caractère des Vendéens d’aujourd’hui. Leur indépendance, leur esprit d’initiative et leur sens du collectif – comme en témoignent les entreprises familiales florissantes et le faible taux de chômage dans la région – sont des héritages directs de cette période. Ayant vu leurs ancêtres massacrés, leurs villages brûlés, leurs terres dévastées, les Vendéens ont développé une méfiance envers l’État central et une capacité à se reconstruire par eux-mêmes, une « culture de la résilience » qui perdure.
Une République qui refuse de regarder son passé en face
La guerre de Vendée et la chouannerie révèlent une République capable de crimes d’une barbarie extrême, comparables aux pires génocides du XXe siècle. Les décapitations, les viols, les noyades, les fours à pain où l’on jette des vivants, la fonte des graisses ou le tannage des peaux humaines : ces horreurs, planifiées et exécutées avec une froideur administrative, ne sont pas des « dérapages », mais le résultat d’une politique délibérée d’extermination. Pourtant, la République, de 1794 à nos jours, a choisi de nier cette réalité, préférant un récit hagiographique où la Révolution est un moment de progrès et de lumière.
Cette occultation est une trahison. Comment peut-on prétendre défendre la liberté tout en ayant, dès les origines, massacré un peuple pour ses croyances et son identité ? Comment peut-on célébrer la République sans reconnaître qu’elle a, dès ses débuts, porté en elle les germes de la Terreur et du génocide ? Tous les gouvernements républicains, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont inscrits dans cette logique de déni, refusant de regarder en face les fondations sanglantes de l’État moderne. Ce silence est d’autant plus grave qu’il empêche une véritable réconciliation nationale et perpétue un mensonge historique.
Il est temps que la République Française assume son passé. Reconnaître le génocide vendéen ne signifie pas « faire tomber la République », comme le souligne l’association Souvenir vendéen, mais comprendre comment une idéologie, même portée par des idéaux de liberté, peut conduire à l’horreur. C’est un devoir de mémoire envers les 170.000 à 250.000 Vendéens massacrés, envers les Chouans persécutés, et envers une nation qui ne peut se construire sur l’oubli de ses crimes. La mémoire vendéenne, portée par les descendants et les initiatives comme celles du Puy du Fou, montre la voie : celle d’une vérité historique qui, loin de diviser, pourrait enfin unir.
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