Le 1er janvier 2026, la Bulgarie deviendra le 21e pays de la zone euro, abandonnant sa monnaie nationale, le lev, au profit de l’euro. Cette décision, validée par la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE) le 4 juin 2025, marque une étape majeure dans l’intégration européenne du pays, membre de l’Union européenne depuis 2007. Cependant, cette transition, perçue comme une « marche forcée » par une bonne partie de la population, suscite une forte contestation, révélant une fracture entre les aspirations pro-européennes des élites et les craintes du peuple bulgare.
Un feu vert européen malgré les résistances locales
La Commission européenne et la BCE ont conclu que la Bulgarie remplissait les critères de Maastricht, incluant la stabilité des prix, des finances publiques saines, la stabilité du taux de change et des taux d’intérêt alignés sur ceux de l’UE. En avril 2025, l’inflation bulgare s’élevait à 2,7 %, juste en dessous du seuil requis de 2,8 %, permettant au pays de satisfaire les conditions d’adoption de l’euro. Le taux de change fixe de 1,95583 lev pour 1 euro, en vigueur depuis 1997 via un régime de caisse d’émission, sera maintenu lors de la transition. La décision finale doit être entérinée par les ministres des Finances de l’UE le 8 juillet 2025, sans opposition attendue.
Le Premier ministre bulgare, Rossen Jeliazkov, a salué cette avancée comme « un jour exceptionnel », soulignant des années de réformes pour aligner la Bulgarie sur les standards européens. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a affirmé que l’euro renforcerait l’économie bulgare en favorisant le commerce, les investissements étrangers et la création d’emplois. Pourtant, cette vision optimiste contraste avec l’humeur d’une large partie de la population.
Une opposition populaire croissante
Malgré les arguments économiques en faveur de l’euro, près de 50 % des Bulgares s’opposent à son adoption, selon des sondages récents. Cette résistance, particulièrement vive dans les zones rurales, s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, le souvenir de la crise économique des années 1990, marquée par une hyperinflation de plus de 300 % et la faillite de nombreuses banques, alimente une méfiance envers tout changement monétaire. Le lev, en circulation depuis 1881, est perçu comme un symbole de stabilité et d’identité nationale. « Pourquoi changer une monnaie qui fonctionne ? » s’interrogent de nombreux citoyens, craignant une flambée des prix et une érosion du pouvoir d’achat.
Des manifestations massives ont eu lieu à Sofia, notamment le 31 mai et le 4 juin 2025, à l’appel du parti nationaliste Vazrajdane, souvent qualifié de prorusse par les autorités européennes, fidèles à leur antienne. Les pancartes proclamant « Préservons le lev bulgare » ou « Non à l’euro » traduisent une colère alimentée par la peur d’une inflation importée, comme observée en Grèce après son adoption de l’euro en 2001, mais aussi en France, malgré les contre-vérités du pouvoir. En février 2025, des affrontements violents ont même éclaté devant le siège de la Commission européenne à Sofia, où des manifestants anti-euro ont affronté la police.
Le président bulgare, Roumen Radev, a tenté de capitaliser sur ce mécontentement en proposant un référendum sur l’adoption de l’euro, une initiative rejetée par le Parlement en septembre 2024, jugée inconstitutionnelle au motif que l’adhésion à l’euro découle d’un traité international signé lors de l’entrée de la Bulgarie dans l’UE. Cette décision a amplifié les accusations de « coup de force antidémocratique » de Bruxelles, comme l’a dénoncé l’économiste Philippe Murer : « Abandonner une liberté aussi essentielle que la monnaie au profit d’un machin supranational nécessite au minimum l’accord de la population par un référendum. »
Les enjeux économiques : opportunités et risques
Les partisans de l’euro, majoritairement issus des élites urbaines et pro-européennes, y voient une opportunité pour ancrer la Bulgarie dans le projet européen, renforcer sa stabilité économique et attirer des investissements. La Bulgarie, avec un PIB par habitant à 64 % de la moyenne européenne, est le pays le plus pauvre de l’UE. L’adoption de l’euro pourrait faciliter les échanges commerciaux et réduire les coûts d’emprunt, tout en offrant une protection contre les fluctuations monétaires.
Cependant, les critiques soulignent des risques majeurs. L’inflation bulgare, structurellement plus élevée que la moyenne de la zone euro (16 % en 2023 contre 10 % en zone euro), pourrait aggraver la perte de compétitivité des industries nationales. Philippe Murer avertit que l’euro, trop fort pour une économie comme celle de la Bulgarie, pourrait entraîner une hausse des importations au détriment de la production locale, comme ce fut le cas en Grèce. La crise grecque de 2011-2014, marquée par une récession de 25 %, est souvent citée comme un précédent inquiétant. De plus, l’abandon du lev signifie une perte de souveraineté monétaire, la BCE prenant le contrôle de la politique monétaire bulgare, ce que beaucoup perçoivent comme une « dépossession ».
Une transition aux allures de pari
Pour accompagner la transition, le gouvernement bulgare prévoit une période de coexistence du lev et de l’euro en janvier 2026, suivie de la fin du cours légal du lev (ça vous rappelle quelque chose ?). Des campagnes d’information sont prévues pour préparer les citoyens et les entreprises, mais leur efficacité reste incertaine. Les petites entreprises, en particulier, pourraient être affectées par les coûts d’adaptation de leurs systèmes comptables.
L’adoption de l’euro en Bulgarie s’inscrit dans un contexte de tensions géopolitiques et de méfiance croissante envers l’UE. Alors que les autorités européennes et le gouvernement bulgare vantent les mérites de l’intégration monétaire, la contestation populaire, amplifiée par des mouvements nationalistes et des craintes économiques légitimes, met en lumière une fracture démocratique. Comme le souligne Boriana Dimitrova, directrice de l’institut Alpha Research, « les pauvres ont peur de devenir encore plus pauvres ». Le 1er janvier 2026 imposera un changement majeur à la Bulgarie, mais les risques d’une transition forcée, ignorante des oppositions populaires, pourraient aggraver les tensions économiques et sociales.
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