Le 30 octobre 2025, l’Union européenne a marqué un tournant majeur dans le débat sur la surveillance numérique en abandonnant la mesure la plus controversée du projet « Chat Control« .
Cette décision, survenue à la veille de la date limite pour un cadre réglementaire expirant en avril 2026, évite une surveillance de masse généralisée des conversations privées.
Pourtant, ce recul n’efface pas les craintes d’une érosion progressive des libertés numériques, comme l’ont souligné des voix influentes dans le secteur tech. Retour sur un dossier qui a divisé l’Europe et continue d’inquiéter.
Qu’est-ce que le Chat Control ?
Le « Chat Control » , ou Règlement sur les Abus Sexuels envers les Enfants (CSAR), est une initiative lancée par la Commission européenne en 2022. Son objectif officiel : combattre la pédocriminalité en ligne en obligeant les plateformes de messagerie – telles que WhatsApp, Signal ou Telegram – à scanner automatiquement les contenus partagés, y compris dans les conversations chiffrées de bout en bout. Cette analyse se ferait via une technologie appelée « client-side scanning« , qui examine les messages, photos et vidéos directement sur l’appareil de l’utilisateur avant leur chiffrement et envoi. Les algorithmes détecteraient des éléments suspects, comme des images pédopornographiques ou des sollicitations criminelles, pour les signaler aux autorités.
Bien que présenté comme un outil de protection des enfants, le projet a été critiqué pour son potentiel de surveillance massive. Il risquerait de fragiliser le chiffrement, pilier de la sécurité numérique, et d’exposer les données privées à des abus. Des experts soulignent que les vrais criminels pourraient contourner ces mesures en migrant vers des réseaux non surveillés, comme le dark web, rendant l’approche inefficace. Un sondage YouGov dans dix pays européens révèle que 72 % des citoyens s’opposent à cette idée, avec un rejet encore plus marqué chez les jeunes (73 % chez les 18-24 ans). Des organisations comme l’Internet Society la qualifient d’ « approche disproportionnée et dangereuse« , préférant renforcer les enquêtes ciblées plutôt qu’une intrusion généralisée.
Le parcours tumultueux et la décision récente
Le projet a connu plusieurs rebondissements. Relancé en 2023 par l’ex-commissaire Ylva Johansson, il a fait face à une opposition croissante. Un rapport de l’Internet Watch Foundation en 2024 indiquait que 62 % des contenus pédopornographiques sont hébergés en UE, mais cela n’a pas suffi à convaincre les sceptiques. Les discussions au sein des 27 États membres ont été intenses, avec des pays comme l’Allemagne (représentant 18,56 % de la population européenne) bloquant une majorité qualifiée requise (au moins 15 pays et 65 % de la population).
Initialement prévu pour un vote le 14 octobre 2025, le texte a été ajourné grâce à l’opposition allemande, puis modifié sous la présidence danoise. Le 30 octobre, l’UE a retiré l’obligation de scanner les conversations chiffrées pour tous les citoyens, optant pour un régime volontaire similaire aux règles actuelles. Le ministre danois de la Justice, Peter Hummelgaard, a expliqué ce choix : « Il y avait un risque sérieux que nous nous retrouvions pendant une longue période sans l’outil dont nous disposons aujourd’hui. Nous ne pouvions pas nous permettre cela. » Ce compromis évite un « vide réglementaire » mais est perçu comme insuffisant par certains, qui regrettent l’absence d’une obligation plus stricte.
La France, autrefois opposée, a joué un rôle pivot en soutenant activement le projet aux côtés de 18 autres pays, dont l’Allemagne, la Belgique et l’Italie. Ce revirement a été qualifié de trahison des valeurs républicaines, sacrifiant la vie privée au nom d’une lutte contre la criminalité dont l’efficacité est douteuse.
Des juristes du Conseil de l’UE, dans un rapport de mars 2025, ont jugé la mesure « disproportionnée » et contraire à la Charte des droits fondamentaux.
Des cryptographes danois avertissent que cela « saperait toute l’idée du chiffrement de bout en bout« . Associations comme La Quadrature du Net et l’Electronic Frontier Foundation (EFF) dénoncent une « dérive autoritaire sans précédent » , avec des risques de faux positifs massifs dénonçant des contenus innocents, comme des photos de famille.
Réactions et mobilisation citoyenne
La décision a été saluée comme une « victoire » par les opposants. Patrick Breyer, ancien eurodéputé du Parti Pirate allemand, y voit une « avancée majeure » contre une « loi totalitaire« . Des ONG comme European Digital Rights et l’EFF célèbrent la préservation de la confidentialité. En France, des figures politiques comme Florian Philippot appellent à la vigilance, voyant un « énorme revers pour Ursula von der Leyen et Macron » , et soulignant que « ils vont forcément retenter« .
Sur les réseaux sociaux, les réactions fusent. Des utilisateurs célèbrent la « victoire pour la vie privée » tout en critiquant le soutien français initial, avec des publications qualifiant le président de « facho/communiste » obsédé par le contrôle. Claudio Borghi, en Italie, note que « Chat Control a atteint la fin de la route » . La mobilisation citoyenne a été décisive : campagnes comme « Fight Chat Control » avec des millions de courriels, pétitions dépassant 80.000 signatures, et manifestations à Stockholm.
Cependant, des soutiens sont déçus. Associations de protection de l’enfance regrettent un cadre trop laxiste. Hummelgaard qualifie le compromis de « pas l’offensive dont nous avons besoin, mais bien mieux qu’un recul » . Des divisions persistent : douze pays, dont la France, l’Espagne et le Danemark, soutenaient l’obligation stricte, tandis que l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Suède ont été décisifs dans l’opposition. Des eurodéputés comme Rodrigo Arenas (LFI) le voient comme une « intrusion généralisée » , Mathilde Androuët (RN) comme « très problématique » , et Charlie Weimers (Suède) comme un pas vers une « censure à la chinoise » .
L’avertissement de Pavel Durov et les menaces persistantes
Cette décision intervient dans un contexte plus large d’érosion des libertés numériques, comme l’a souligné Pavel Durov, fondateur de Telegram, dans un message poignant publié le 10 octobre 2025, jour de son 41e anniversaire. Refusant de célébrer, il dénonce un Internet transformé en « outil ultime de contrôle » , avec des mesures dystopiques comme les scans massifs de messages privés dans l’UE, les identités numériques au Royaume-Uni, ou les vérifications d’âge en Australie.
Il pointe particulièrement la France, où des enquêtes pénales visent les leaders tech défendant la vie privée, suite à son arrestation en août 2024 et une surveillance judiciaire en 2025.
« Un monde sombre et dystopique approche à grands pas — pendant que l’on dort » , avertit-il, accusant la génération actuelle de trahir l’héritage de liberté pour une autodestruction morale et intellectuelle.
Pavel Durov appelle à une mobilisation pour préserver un internet respectueux de la souveraineté individuelle, soutenant des plateformes chiffrées comme Telegram face à des régulations invasives. Ces pressions gouvernementales illustrent les risques pour les applications de messagerie, où la confidentialité pourrait être sacrifiée au nom de la sécurité (Finalement, pourquoi ne pas ouvrir le courrier papier acheminé par La Poste ?).
Implications futures : vigilance requise
Ce retrait est une victoire temporaire pour la vie privée, évitant une « surveillance massive » et préservant les libertés fondamentales.
Mais les opposants avertissent que le projet pourrait resurgir, avec des pressions politiques persistantes. Il maintient un cadre volontaire, mais pose des questions sur l’équilibre entre sécurité et droits. Historiquement, des tentatives similaires, comme celle d’Apple en 2021, ont échoué face à l’indignation publique, et une décision de la Cour européenne des droits de l’homme en 2023 contre l’affaiblissement du chiffrement est ignorée.
Pour l’avenir, des solutions décentralisées comme Matrix ou Briar (application de messagerie sécurisée et open-source) pourraient émerger. La mobilisation citoyenne a prouvé son efficacité, mais une vigilance accrue est essentielle. Contacter les eurodéputés, signer des pétitions et sensibiliser restent des armes clés pour défendre la vie privée, pilier de la démocratie. Sans cela, l’Europe risque de basculer vers un « État policier numérique » , comme le craignent experts et citoyens.
 
															 
                  
 
                               
                               
   
        
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