Le sommet de l’UE vient d’accoucher d’un programme aussi ambitieux que ronflant : militarisation massive, hausse des dépenses militaires, 150 milliards d’euros de prêts, et une Europe « souveraine » prête à affronter la Russie, désignée comme « principale menace ». Sur le papier, c’est un joli conte de fées géopolitique. Sur le terrain, c’est une farce qui ignore les faiblesses criantes des armées européennes et les réalités pratiques d’un continent fragmenté. Décortiquons ce plan pour voir à quel point il flotte dans les nuages, loin des tranchées boueuses de la réalité.
Des armées européennes en état de délabrement chronique
Commençons par le b.a.-ba : les armées de l’UE sont dans un état lamentable. Des décennies de coupes budgétaires post-Guerre froide ont laissé des forces nationales exsangues. Prenons l’Allemagne, supposée locomotive européenne : en 2024, la Bundeswehr ne peut aligner que 50 % de son matériel en état de marche, selon Reuters. Ses deux divisions promises à l’OTAN pour 2025 et 2027 ? Un mirage, avec des pénuries de munitions, de chars et même de soldats formés. La France, avec ses 290 ogives nucléaires, fait figure de « puissance », mais son armée manque de drones modernes, ses stocks de munitions sont riquiqui, et ses effectifs fondent – à peine 200 000 soldats actifs en 2023, contre 400 000 en 1990.
Ailleurs, c’est pire. L’Italie ? Des équipements vieillissants et un budget défense anémique (1,5 % du PIB). L’Espagne ? À peine 1,2 % du PIB pour sa défense, loin des 2 % promis à l’OTAN. Les pays de l’Est, comme la Pologne, misent tout sur des achats à l’étranger (Corée du Sud, États-Unis), pas sur une industrie locale. Résultat : l’UE n’a ni la cohérence la capacité pour prétendre à une « autonomie stratégique ». Parler de « combler les lacunes critiques » quand on part d’un tel désert, c’est comme vouloir construire un gratte-ciel sur des sables mouvants.
150 milliards d’euros de prêts : une goutte d’eau dans un seau percé
Le plan brandit fièrement ses 150 milliards d’euros de prêts garantis par le budget de l’UE. Impressionnant ? Pas vraiment. D’abord, ce ne sont que des prêts, pas des subventions – les États devront rembourser, alors que beaucoup, comme la France (dette à 110 % du PIB) ou l’Italie (140 %), croulent déjà sous les dettes. Ensuite, divisez 150 milliards par 27 pays sur plusieurs années : ça fait à peine 1 à 2 milliards par an et par État. Comparez ça aux 883 milliards de dollars que les États-Unis dépensent en une seule année pour leur défense (2024), ou aux 461 milliards de dollars russes en parité de pouvoir d’achat (IISS, 2025). C’est peanuts.
Pire, cet argent ne créera pas une industrie de défense européenne compétitive du jour au lendemain. Les géants comme Airbus ou Thales sont loin de rivaliser avec Lockheed Martin ou Rostec. Entre 2022 et 2023, 63 % des commandes militaires de l’UE sont allées aux États-Unis (rapport Draghi), pas à des firms locales. Pourquoi ? Parce que l’Europe ne produit pas assez vite, ni assez bien. Ces 150 milliards risquent de finir en achats outre-Atlantique ou en projets mal coordonnés, pas en « souveraineté ».
La Russie comme « principale menace » : un ennemi hors de portée
Désigner la Russie comme l’ennemi numéro un, c’est peut-être politiquement vendeur, mais militairement, c’est un suicide. Moscou aligne plus de 5 000 têtes nucléaires, une armée aguerrie par trois ans de guerre en Ukraine, et une industrie qui crache des tanks et des drones à un rythme que l’Europe ne peut même pas rêver. Oui, la Russie a perdu 14 000 blindés depuis 2022 (IISS), mais elle les remplace avec des modèles anciens et une production dopée à 6,7 % de son PIB. Pendant ce temps, l’UE peine à coordonner ses 27 armées, qui parlent à peine la même langue – littéralement et stratégiquement.
La « préparation globale » vantée par l’UE ? Une blague quand on voit que les pays baltes ou la Pologne, en première ligne, dépendent encore des États-Unis pour leurs systèmes antimissiles Patriot. Quant à la « frontière orientale », elle est déjà percée : la Biélorussie, alliée de Moscou, est une passoire, et l’UE n’a ni les troupes ni les moyens pour la blinder. L’idée d’une « défense autonome » face à un tel adversaire relève du fantasme.
Une souveraineté illusoire dans un continent divisé
L’UE rêve de « réduire sa dépendance stratégique » et d’« agir de manière autonome ». Mais comment, quand ses membres n’arrivent pas à s’entendre sur l’essentiel ? La Hongrie de Viktor Orbán bloque tout ce qui sent l’aide à l’Ukraine ou la confrontation avec Moscou. L’Allemagne rechigne à financer des subventions communes, préférant les prêts pour ne pas froisser son électorat économe. La France de Macron pousse son nucléaire comme un coq en parade, mais personne ne veut d’une « armée européenne » sous commandement parisien – Salvini l’a encore traité de « fou » aujourd’hui même.
Et l’OTAN dans tout ça ? L’Alliance reste le vrai pilier de la défense européenne, avec un général américain à sa tête. Sans les États-Unis, qui fournissent 70 % des capacités stratégiques (satellites, transport lourd, renseignement), l’UE est nue. Ce plan ignore cette réalité : il n’y a pas de « souveraineté » sans coordination avec Washington, et Trump l’a bien compris en pressant l’Europe de payer plus.
Une base industrielle fantôme
Renforcer la « base technologique et industrielle » ? Belle formule, mais où est l’usine ? L’Europe manque de tout : fonderies pour puces avancées, aciéries pour blindages, chaînes de montage pour drones. La guerre en Ukraine a montré que les stocks de munitions s’épuisent en semaines, pas en mois. La Russie produit 3 millions d’obus par an ; l’UE vise péniblement 1 million d’ici fin 2025. Les 150 milliards ne suffiront pas à rattraper 30 ans de sous-investissement, surtout quand chaque pays tire la couverture à soi – la Pologne achète coréen, la France mise sur Dassault, l’Allemagne sur Rheinmetall. Cohérence, zéro.
Verdict : un plan absurde et déconnecté
Ce programme de militarisation est une chimère bureaucratique, un pansement sur une jambe gangrénée. Les armées européennes sont trop faibles, trop divisées, et trop dépendantes pour prétendre à une « souveraineté » face à la Russie. Les 150 milliards d’euros ? Une aumône face à l’ampleur du défi, gaspillée dans un système fragmenté et sans vision. L’UE veut jouer dans la cour des grands, mais elle n’a ni les muscles ni les tripes pour ça. Pendant que Bruxelles rédige ses communiqués triomphants, Moscou rigole et affine ses missiles. Réalité : 1, Utopie : 0.
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