Madagascar, cette île immense de l’océan Indien, riche en biodiversité mais minée par une pauvreté endémique et une corruption rampante, traverse l’une des crises les plus graves de son histoire récente.
Depuis fin septembre 2025, ce qui a commencé comme des manifestations pacifiques contre les coupures chroniques d’eau et d’électricité a dégénéré en un chaos généralisé : tirs policiers, pillages nocturnes, et finalement, un effondrement du gouvernement marqué par la fuite du président Andry Rajoelina.
Inspiré par des témoignages locaux et des analyses comme celle de Theo Malini dans une vidéo YouTube, cet article retrace les événements qui ont plongé le pays dans l’instabilité, avec un regard sur les perspectives d’avenir.
Les origines de la colère : une population à bout
Madagascar figure parmi les pays les plus pauvres du monde, avec plus de 75 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté. Les inégalités y sont flagrantes : tandis que les élites profitent d’une opulence ostentatoire, la majorité des Malgaches luttent pour accéder à des besoins fondamentaux comme l’eau potable, l’électricité et la nourriture. Ces problèmes ne datent pas d’hier ; ils sont exacerbés par une corruption systémique qui gangrène l’administration depuis des décennies.
Fin septembre 2025, les protestations baptisées « Leo Délestage » (littéralement « Marre des Coupures ») éclatent dans plusieurs villes, dont la capitale Antananarivo et Antsiranana. Menées par la « Gen Z » – la génération des jeunes, qui représente une part importante de la population – et des étudiants, ces manifestations sont initialement pacifiques. Les protestataires, arborant drapeaux pirates et chapeaux colorés, réclament des droits basiques : comme l’accès à l’école, à l’eau et à l’électricité.
Malgré une interdiction préfectorale pour « risques de troubles », des milliers descendent dans les rues le 25 septembre, dénonçant un gouvernement sourd à leurs appels.
Ces revendications font écho à des crises similaires ailleurs, comme aux Philippines où des manifestations anti-corruption ont dégénéré en violences en septembre 2025, ou au Népal, où la jeunesse a forcé la démission du Premier ministre face à la censure et au chômage. À Madagascar, la frustration est d’autant plus vive que le pays, malgré ses ressources naturelles, reste enlisé dans la misère.
L’escalade violente : tirs policiers et répression
Rapidement, les autorités optent pour la force. Dès le premier jour, les forces de l’ordre déploient des grenades lacrymogènes et des tirs de sommation, causant des blessures et des décès. À Antananarivo, au moins cinq personnes perdent la vie, tandis qu’à Antsiranana, six autres, dont un étudiant et deux nourrissons asphyxiés par les gaz, sont rapportés par des sources hospitalières. Des familles entières sont gazées, même dans des lieux publics comme des toilettes.
La répression s’intensifie : des « policiers cagoulés en noir » – des unités spéciales obéissant directement au pouvoir – tirent à balles réelles sur la foule. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des fusils d’assaut utilisés contre des civils désarmés. Reporters Sans Frontières dénonce des attaques contre trois journalistes, soulignant la volonté de museler la presse. Un couvre-feu nocturne (de 19h à 5h) est imposé à Antananarivo et prolongé indéfiniment, mais il n’empêche pas l’escalade.
Cette violence rappelle les émeutes de 2022 à Ikongo, où 11 à 19 personnes avaient été tuées par des tirs policiers. Sans caméras de surveillance omniprésentes, il est difficile de distinguer manifestants pacifiques et opportunistes, ce qui donne aux forces de l’ordre une excuse pour intensifier leur répression.
Les Nuits de Pillage : Chaos et Complicité
Les journées de protestation sont suivies de nuits apocalyptiques. Des pillages généralisés visent centres commerciaux, distributeurs automatiques et même des infrastructures comme le téléphérique d’Antananarivo – un projet jugé absurde face aux besoins vitaux, et qui finit incendié.
Ces actes sont perpétrés non pas par les manifestants diurnes, mais par les franges les plus pauvres de la population, qui profitent du désordre pour « se servir où ils peuvent ». Des matériaux comme le métal, le carrelage et les panneaux solaires sont arrachés pour être revendus ou réutilisés. Les pillages s’étendent aux habitations privées, forçant les citoyens à former des milices de quartier via les réseaux sociaux : « Rapprochez-vous de votre voisinage… s’entraider. »
Plus choquant encore : la passivité, voire la complicité, des forces de l’ordre. Des vidéos montrent des policiers « les bras croisés » observant les pilleurs, ou même les aidant à pénétrer dans des magasins. Des rumeurs évoquent des individus payés pour inciter au chaos. La nuit du 25 septembre ressemble à une « purge » : cris masqués par de la musique forte, numéros d’urgence inopérants, et attaques contre le domicile des parents du président Rajoelina ou des résidences de députés pro-gouvernementaux.
L’intervention de l’armée : vers un coup d’état
La situation bascule lorsque l’armée entre en scène. Le 13 octobre 2025 (trois jours avant la date actuelle), le Capsat – l’unité la plus puissante de l’armée malgache, détenant le plus grand stock d’armes – publie une vidéo sur Facebook appelant à désobéir au gouvernement et à se ranger du côté du peuple. Ils invitent policiers, gendarmes et autres régiments à les rejoindre, et ordonnent de bloquer toute fuite de personnalités via l’aéroport.
C’est le début d’un coup d’État déguisé. Des rumeurs circulent sur la disparition du président Rajoelina, absent pour un discours attendu.
Le 14 octobre, il est confirmé qu’il a fui : en hélicoptère depuis son palais vers l’île Sainte-Marie, puis dans un avion militaire français vers La Réunion, et enfin dans un jet privé allemand vers Dubaï.
Depuis Dubaï, Rajoelina dissout son gouvernement pour tenter de sauver sa peau, mais l’Assemblée nationale, en session extraordinaire, vote sa destitution en vertu de l’article 49 de la Constitution, pour « incompatibilité manifeste » avec l’unité nationale. L’armée annonce alors prendre le pouvoir, dissolvant le Sénat et formant un gouvernement de transition. « On a pris le pouvoir parce qu’il n’y a rien qui marche à Madagascar », déclarent-ils. Ils promettent un Premier ministre « de consensus », accepté par les jeunes, et des élections dans deux ans – potentiellement trois si nécessaire.
L’armée insiste : ce n’est pas un coup d’État, mais une « prise de responsabilité » face au vide institutionnel.
Le président du Sénat avait été destitué une semaine plus tôt, et le gouvernement était en miettes. Derrière les discours militaires, on aperçoit parfois l’ombre d’anciens dirigeants, suggérant des tractations en coulisses.
Notons le rôle ambivalent de la France : quelques heures avant sa fuite, Rajoelina gracie plusieurs prisonniers français, dont un militaire et un gendarme. Paris dément toute implication, affirmant son « amitié » pour le peuple malgache et appelant à préserver l’ordre constitutionnel. Pourtant, l’exfiltration via un avion militaire français soulève des questions.
Perspectives incertaines : vers une transition fragile
Aujourd’hui, l’armée dirige un gouvernement intérimaire. Les rues d’Antananarivo célèbrent, mais la victoire est précaire. L’armée pourrait s’accrocher au pouvoir, et les problèmes structurels – pauvreté, corruption, accès à l’eau et à l’électricité – ne se résoudront pas du jour au lendemain. Les gens qui ont du mal à se nourrir aujourd’hui auront toujours du mal dans six mois.
Le Conseil des Églises appelle à la paix, et l’ONU suit de près, exhortant au respect des droits humains. Cette crise pourrait marquer un « vent de changement », surtout que l’armée a refusé de « tirer sur ses propres frères et sœurs ». Mais sans investissements à long terme (sur 10 à 40 ans), Madagascar risque de retomber dans le cycle de l’instabilité.
Ces événements servent de mise en garde : la trahison des élites peut mener à la destruction. Pour les Malgaches, le chemin vers la stabilité sera long, mais on avance un pas après l’autre.
Toutes proportions gardées, le déroulement de cette révolte du peuple malgache par sa jeunesse pourrait advenir dans n’importe quel pays dont les élites accaparent le pouvoir et écrasent le peuple, dont la France !
Le président de #Madagascar Andry Rajoelina exfiltré par un avion de l’armée française ?
— THOMAS DIETRICH (@thomasdietrich0) October 12, 2025
Alors qu’Andry Rajoelina est en passe d’être renversé par un soulèvement populaire et par l’armée, j’ai pu confirmer les faits suivants :
- un avion militaire français (CASA CN-235… pic.twitter.com/RPZHFIJIu8
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