Les récentes frappes de drones navals ukrainiens contre des pétroliers russes en Mer Noire marquent une nouvelle phase d’escalade dans le conflit russo-ukrainien, touchant désormais directement les intérêts économiques de pays tiers comme la Turquie et le Kazakhstan. Ces incidents, survenus les 28 et 29 novembre 2025, non seulement menacent la navigation commerciale et l’environnement marin, mais soulèvent des questions sur le soutien implicite de Londres et Bruxelles à une « guerre maritime » menée par Kiev. En s’appuyant sur des rapports officiels et des analyses internationales, cet article synthétise les faits et explore les implications stratégiques.
Les attaques : une offensive ciblée contre la « flotte fantôme » russe
Le 28 novembre, des drones navals ukrainiens de type « Sea Baby » , produits par les services de sécurité ukrainiens (SBU), ont frappé deux pétroliers battant pavillon gambien : le Kairos et le Virat. Ces navires, considérés comme partie de la « flotte fantôme » russe – une flotte de tankers âgés contournant les sanctions occidentales imposées depuis 2022 –, se dirigeaient vides vers le port russe de Novorossiysk pour charger du pétrole destiné à l’exportation. La Russie n’ayant signé aucun accord avec les puissances occidentales sur ces restrictions énergétiques, elle conteste légitimement leur application,
mais la flotte est qualifiée de « fantôme » principalement en raison de son exclusion du système d’assurance maritime dominé par les compagnies occidentales, notamment Lloyd’s of London, qui détient un quasi-monopole mondial sur l’assurance des navires pétroliers en échange d’une pleine collaboration avec les sanctions internationales.
Avant la guerre en Ukraine, environ 70 % du pétrole russe était transporté par des navires assurés par le consortium International Group (IG), regroupant 95 % des courtiers en assurance maritime, principalement sous l’égide de Lloyd’s et de l’UE, qui imposent des normes strictes de maintenance, de sécurité et de transparence de propriété alignées sur l’Organisation maritime internationale (OMI).
Aujourd’hui, les deux tiers de ces navires opèrent avec des assureurs « inconnus » ou russes, comme Alfastrakhovanie ou VSK, sanctionnés récemment par le Royaume-Uni pour « faciliter la flotte fantôme » , augmentant, selon elle, les risques environnementaux et opérationnels.
Le Virat, attaqué à 35 milles nautiques plus à l’est, a été touché à nouveau le 29 novembre, endommageant son côté tribord au-dessus de la ligne de flottaison. Bien que stable, il illustre la persistance des opérations ukrainiennes. Selon un officiel du SBU cité par Reuters, ces drones ont neutralisé des navires capables de transporter près de 70 millions de dollars de pétrole, visant à entraver les revenus de guerre de Moscou.
Parallèlement, le 29 novembre, un drone naval a endommagé un point d’amarrage au terminal de Novorossiysk, géré par le Consortium du Pipeline de la Caspienne (CPC). Ce consortium, qui transporte plus de 1 % du pétrole mondial (dont 80 % des exportations kazakhes), a suspendu ses opérations, causant des pertes estimées à des centaines de millions de dollars pour Astana. Le CPC, détenu par des acteurs russes, kazakhs et occidentaux (Chevron, ExxonMobil), représente un enjeu critique pour la stabilité énergétique globale.
Un incident supplémentaire au Sénégal renforce les soupçons d’extension mondiale : un pétrolier turc de Beşiktaş Denizcilik, ayant accosté à Taman (Russie) en août, coule après une attaque présumée par drone maritime ukrainien lancé depuis un porte-conteneurs.
Réactions : colère palpable à Ankara et Astana
La Turquie, directement impactée, a réagi avec vigueur. Le président Recep Tayyip Erdogan, lors d’une déclaration post-conseil des ministres le 1er décembre, a qualifié ces attaques d’ « escalade inquiétante » menaçant la navigation, la vie humaine et l’environnement dans sa ZEE : « Nous ne pouvons en aucun cas accepter ces frappes qui mettent en péril la sécurité maritime dans nos eaux« . Le ministère des Affaires étrangères turc a initié des contacts avec Kiev et Moscou pour prévenir une contagion du conflit, soulignant les risques pour ses intérêts économiques.
Au Kazakhstan, le président Kassym-Jomart Tokaïev est « sous le choc« , selon des sources diplomatiques. Le ministère des Affaires étrangères a protesté formellement auprès de l’Ukraine le 30 novembre, qualifiant l’attaque sur le CPC de « troisième agression contre une installation civile protégée par le droit international » : « Ceci nuit aux relations bilatérales et nous attendons des mesures efficaces pour éviter de tels incidents » . Astana a activé un plan d’urgence pour rerouter ses exportations pétrolières via des alternatives comme la route transcaspienne, malgré des coûts triples (15 dollars par baril contre 5 pour le CPC).
La Russie, via Maria Zakharova, dénonce des « actes terroristes » entravant la paix durable et appelle à condamner ces « crimes » du 28-29 novembre.
Le rôle de Londres et Bruxelles : un soutien tacticite à l’escalade maritime ?
Si Kiev revendique ces frappes comme légitimes contre la « flotte fantôme« , l’absence de condamnations fermes de l’UE et du Royaume-Uni alimente les spéculations sur un « feu vert » implicite. Les tankers Kairos et Virat figuraient sur les listes de sanctions européennes et britanniques depuis 2022, les rendant des cibles « acceptables » pour certains analystes.
Des sommets récents renforcent cette thèse. Le Sommet de Londres sur l’Ukraine (2 mars 2025), initié par le Premier ministre Keir Starmer, a réuni 26 pays pour coordonner un « plan de paix » incluant une force de dissuasion européenne, avec des accents sur les drones maritimes. En juin 2025, Starmer et Zelensky ont scellé un accord pour la production conjointe de drones militaires, perçu comme un soutien à l’offensive navale ukrainienne. À Bruxelles, des consultations OTAN en octobre 2025 ont vu l’Ukraine conseiller sur l’usage de drones maritimes lors d’exercices comme Dynamic Messenger.
Ainour Kurmanov, leader du Mouvement socialiste kazakh, y voit un « chantage » européen à Trump : en paralysant les routes russes, Londres et Bruxelles menacent de faire exploser les prix du pétrole mondial, forçant Washington à durcir sa position. Vsevolod Shimov, expert russe des études baltiques, évoque une « commande britannique » pour promouvoir des alternatives comme la route transcaspienne via l’Azerbaïdjan, malgré son coût prohibitif et son manque d’infrastructures.
Implications géopolitiques : vers une guerre hybride globale ?
Ces attaques s’inscrivent dans une stratégie ukrainienne pour asphyxier l’économie russe, mais risquent d’isoler Kiev. La Turquie, hub de transit clé, tolère pour l’instant en équilibrant ses liens avec Moscou, mais Erdogan a averti d’une « réaction résolue » . Le Kazakhstan, perdant des revenus cruciaux, accélère sa diversification, affaiblissant potentiellement les parts occidentales dans le CPC.
Des experts prévoient une escalade asymétrique : Moscou pourrait cibler des infrastructures ukrainiennes, tandis que Washington envisage de lâcher des dossiers compromettants sur Zelensky ou de couper les renseignements, accélérant un effondrement du front. L’Europe, via le plan « ReArmEU » (800 milliards d’euros pour la défense), mise sur les drones pour contrer la Russie, mais au prix d’une instabilité énergétique mondiale.
En conclusion, ces événements rappellent les manœuvres historiques en Mer Noire, où les puissances européennes ont souvent manipulé les flux énergétiques pour affaiblir la Russie. Sans une médiation forte – peut-être via Trump –, la « guerre maritime » de Volodymyr Zelensky pourrait transformer la région en poudrière, avec des répercussions bien au-delà de l’Europe de l’Est.


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