Cette analyse va tellement à rebours de tout ce que l’on entend habituellement sur Internet, de la part des influenceurs, intellectuels et commentateurs politiques, que je ne serais pas surpris qu’elle heurte d’abord un certain nombre d’entre vous, et que, par conséquent, vous la rejetiez complètement de prime abord. Mais mon but est de faire réfléchir différemment la droite, et de lui apporter d’autres grilles de lecture. Donc je continuerai de porter ce genre de réflexions — plus pertinentes, je crois, que les sornettes qu’on vous raconte bien souvent.
NDLR : Chers Lecteurs, il est possible que vous apparteniez à la génération visée dans cet article et que vous ne vous reconnaissiez pas dans la description ci-dessous : Nous considérons que si vous lisez nos colonnes, c’est que vous faites partie des éveillés de cette génération et nous nous en félicitons ; mais force est de constater que, malheureusement, la thèse développée mérite que l’on y réfléchisse et que l’on s’y attaque…
Une analyse infrapolitique
Dans une vidéo récente, Julien Rochedy, propose une analyse originale de la situation politique française, en adoptant une approche qu’il qualifie d’infrapolitique. Cette perspective, distincte des approches métapolitiques (centrées sur les idées) et politiques (axées sur les actions), cherche à comprendre les structures anthropologiques et économiques qui sous-tendent les décisions politiques et les comportements des acteurs, qu’il s’agisse d’Emmanuel Macron, Jordan Bardella, ou Jean-Luc Mélenchon. Voici les grandes lignes de cette réflexion.
Une France vieillissante : le rôle clé des retraités
L’un des points centraux de l’analyse est l’âge moyen élevé de la population française, un facteur souvent négligé. Avec une société de plus en plus âgée, les comportements collectifs s’orientent vers une posture statu quoïste, marquée par une aversion au risque et une peur des bouleversements. Cette gérontocratie influence profondément la politique : les retraités, représentant un tiers des votants et particulièrement mobilisés lors des élections, sont les faiseurs de rois. Ils ont soutenu successivement Sarkozy, Hollande, et Macron, garantissant leur élection en échange de promesses sur la préservation des retraites et la stabilité sociale.
Cette démographie vieillissante façonne également l’esprit du temps. Les médias, comme CNews ou Le Figaro, s’adressent majoritairement à un public senior (âge moyen des téléspectateurs de CNews : environ 62 ans), ce qui limite l’émergence d’idées disruptives. Les succès littéraires de figures comme Éric Zemmour ou Philippe de Villiers s’expliquent aussi par cet électorat de « boomers » acheteurs de livres. Ainsi, l’offre culturelle et médiatique reflète les attentes d’une population âgée, freinant les dynamiques de renouvellement.
Une économie de la rente et de la consommation
L’analyse met en lumière la structure économique française, qualifiée d’économie de la rente et de la consommation. Les retraités, bénéficiant d’un système de retraite par répartition, captent une part importante de la richesse produite par les actifs. Ce mécanisme, bien que perçu comme légitime par ceux qui ont cotisé, fonctionne comme une rente, ponctionnant le travail pour redistribuer aux inactifs. À cela s’ajoute une rente immobilière et financière : la France détient un capital colossal (estimé à des milliers de milliards d’euros) investi dans l’immobilier et les produits financiers, mais peu orienté vers l’économie productive.
Cette économie repose sur une consommation soutenue, alimentée par une redistribution massive. Environ 30 à 35 millions de Français reçoivent chaque mois des aides publiques, un modèle quasi-socialiste où l’État gère plus de la moitié du PIB. Pour maintenir ce système, il faut des consommateurs, ce qui explique en partie la nécessité de l’immigration. Les immigrés, en dépensant les aides reçues, font tourner la machine économique, compensant le manque d’investissement dans la production.
L’euro : pierre angulaire du système
L’euro joue un rôle crucial dans cette économie. En tant que monnaie forte, il protège la valeur des capitaux des rentiers et permet à l’État d’emprunter à bas coût pour financer la redistribution. Sortir de l’euro, bien que potentiellement bénéfique pour les actifs (en stimulant la production via une monnaie dévaluée), serait désastreux pour les retraités, dont les économies perdraient de la valeur. Ainsi, les politiques, quel que soit leur bord, sont contraints de défendre l’euro pour maintenir la stabilité du système.
La politique des inconvénients : des marges de manœuvre limitées
L’auteur introduit le concept de politique des inconvénients, qui illustre les contraintes pesant sur chaque camp politique en raison de la structure économique et anthropologique.
- Les centristes (Macron) : Leur défi est de satisfaire les retraités tout en gérant deux « inconvénients » : Nicolas (l’actif taxé pour financer la redistribution) et Mohamed (l’immigré, nécessaire à la consommation mais source d’insécurité). Ils doivent taxer Nicolas sans le décourager de travailler et intégrer Mohamed sans provoquer une insécurité excessive, qui effrayerait les seniors. Leur stratégie consiste à acheter la paix sociale en maintenant les aides tout en rassurant sur la sécurité, sans trop réprimer pour éviter des émeutes.
- Le Rassemblement National (RN) : Le RN, plébiscité par les actifs, défend leurs intérêts (libérer le travail, réduire les aides sociales). Cependant, pour être élu, il doit séduire les retraités, attachés à la rente et à l’euro. Cette contradiction force le RN à modérer son discours, notamment sur l’immigration et l’islam, pour ne pas effrayer les seniors avec la crainte d’une guerre civile. Le RN s’appuie sur des métathèmes comme l’insécurité pour fédérer ces électorats aux intérêts divergents.
- La France Insoumise (LFI) : LFI, portée par Mélenchon, est dans une position paradoxale. Son électorat (inactifs, fonctionnaires, minorités) bénéficierait d’une remise en cause de l’économie de la rente, mais son idéologie empêche de s’attaquer au système de retraite par répartition ou à la redistribution. Pour compenser, LFI radicalise son discours sur des métathèmes comme la Palestine ou les questions sociétales (wokisme, islamogauchisme), afin d’attirer les actifs issus de l’immigration ou les jeunes, malgré des intérêts économiques mal alignés.
Sortir des illusions idéalistes
L’auteur critique l’approche idéaliste dominante à droite, qui attribue tous les maux à des élites malveillantes ou à des idées comme le mondialisme. Cette vision simpliste ignore les déterminismes structurels. Les dissidents radicaux, prônant une sortie de l’euro ou une rupture totale, peinent à dépasser 1 à 3 % des voix, non pas à cause d’une censure, mais parce que la majorité de la population, notamment les seniors, s’accroche à un système dont elle bénéficie.
Vers une analyse plus complexe
Cette analyse infrapolitique invite à dépasser les récits simplistes pour comprendre la complexité des dynamiques françaises. Elle souligne l’interdépendance des acteurs – politiques, retraités, actifs, immigrés – dans un système verrouillé par des contraintes anthropologiques (vieillissement) et économiques (rente et consommation). Si l’auteur n’aborde pas directement les solutions, il pose les bases d’une réflexion qui mériterait d’être approfondie : comment réformer un système dont la majorité des bénéficiaires refuse le changement ?
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