Le 2 mai 2025, l’Office fédéral pour la protection de la Constitution (BfV) en Allemagne a classé le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) comme une « organisation extrémiste de droite confirmée ». Cette décision, appuyée par un rapport de 1.100 pages, permet une surveillance accrue du parti, incluant l’utilisation d’informateurs et l’interception de communications. Il y a quelques mois à peine, en Roumanie, l’annulation de l’élection présidentielle après la victoire au premier tour du candidat populiste Călin Georgescu, accusé de bénéficier d’une opération d’influence russe, a conduit à son exclusion du scrutin. Ces deux événements, survenus dans un contexte de montée des partis souverainistes en Europe, soulèvent une question cruciale : assistons-nous à un abandon progressif de la démocratie au profit d’une logique de contrôle idéologique par l’oligarchie en place ?
L’AfD et le label « extrémiste » : une décision controversée
En Allemagne, l’AfD, qui a remporté 20,8 % des voix et 152 sièges lors des élections fédérales de février 2025, est devenu le deuxième parti du pays, derrière la coalition conservatrice de Friedrich Merz. Fondé en 2013 sur une plateforme eurosceptique, le parti a évolué vers des positions nationalistes et anti-immigration, ce qui lui a valu une popularité croissante, notamment dans l’est du pays. Le BfV justifie sa décision par le « concept ethnique et ancestral du peuple » prôné par l’AfD, qui « dévalorise des segments entiers de la population » et « viole la dignité humaine », selon un communiqué officiel. Le rapport met en avant des déclarations xénophobes et anti-musulmanes des dirigeants du parti, comme Alice Weidel et Tino Chrupalla, accusant l’AfD de susciter « des peurs et une hostilité irrationnelles » envers les minorités.
Cette classification n’entraîne pas une interdiction immédiate de l’AfD, mais elle ouvre la voie à des mesures restrictives : surveillance renforcée, possible limitation des financements publics, et restrictions pour les fonctionnaires affiliés au parti, qui risquent le licenciement. Elle relance également le débat sur une éventuelle interdiction, bien que celle-ci nécessite l’approbation de la Cour constitutionnelle fédérale et reste juridiquement complexe. Le chancelier sortant Olaf Scholz et la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser ont insisté sur l’indépendance du processus, soulignant que la décision vise à « protéger la démocratie » face à une menace pour l’ordre constitutionnel.
Cependant, l’AfD dénonce une manœuvre politique visant à criminaliser l’opposition. Weidel et Chrupalla ont qualifié cette décision de « coup sévère porté à la démocratie allemande », arguant qu’elle vise à discréditer un parti représentant des millions d’électeurs. Des figures internationales, comme le secrétaire d’État américain Marco Rubio, ont critiqué la mesure, la qualifiant de « tyrannie déguisée », tandis que le vice-président américain JD Vance a comparé cette surveillance à une « reconstruction du mur de Berlin » par l’establishment allemand. Elon Musk, qui avait soutenu l’AfD avant les élections, a averti qu’une interdiction serait une « attaque extrême contre la démocratie ».
Roumanie : l’élimination de Georgescu et l’annulation de l’élection
En Roumanie, un autre événement a secoué le paysage politique. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, le candidat souverainiste Călin Georgescu a remporté une victoire surprise. Cependant, les autorités ont annulé le scrutin, invoquant des « irrégularités » et des preuves d’une opération d’influence russe. Georgescu a été exclu de la nouvelle élection, qui s’est tenue le dimanche 4 mai 2025 et qui a vu le succès de son poulain George Simion arrivé largement en tête avec plus de 40% des suffrages devant les candidats pro-UE. Cette décision a suscité l’indignation de figures comme Matteo Salvini, vice-premier ministre italien, qui a dénoncé un « vol de démocratie » en Europe, après des restrictions similaires imposées à Marine Le Pen en France, interdite de se présenter à la présidentielle de 2027 suite à une condamnation pour détournement de fonds.
Une menace pour la démocratie européenne ?
Ces deux cas, bien que distincts, partagent un point commun : des establishments politiques utilisent des mécanismes légaux pour limiter ou éliminer des forces d’opposition populistes et nationalistes, souvent sous prétexte de protéger la démocratie. En Allemagne, la classification de l’AfD comme extrémiste intervient dans un contexte où le parti est devenu une voix incontournable, représentant une large frange de la population, notamment dans les régions rurales et orientales, où il est souvent en tête des sondages. En Roumanie, l’annulation de l’élection et l’exclusion de Georgescu a privé les électeurs d’un choix qu’ils avaient exprimé, sous des accusations d’ingérence étrangère qui n’ont jamais été prouvées
Ces décisions soulèvent des questions fondamentales sur la nature de la démocratie. Si un parti ou un candidat démocratiquement soutenu peut être étiqueté comme une menace et écarté, la liberté de choix des électeurs est-elle réellement préservée ? En Allemagne, le BfV affirme agir pour protéger l’ordre constitutionnel, mais la stigmatisation de l’AfD risque d’aliéner davantage ses partisans, renforçant leur posture de victimisation et leur méfiance envers les institutions. Pourtant, aucun acte de violence ou de subversion directe n’a été imputé au parti, ce qui alimente les soupçons d’une instrumentalisation politique.
En Roumanie, l’annulation de l’élection et l’exclusion de Georgescu, sans un processus clair et transparent, peuvent être perçues comme une tentative de la Commission européenne de contrôler le résultat électoral, surtout dans un contexte où les partis contestataires gagnent du terrain. Ces pratiques font craindre une tendance plus large : les élites politiques en place, face à la montée de mouvements qu’elles jugent inacceptables, privilégient des mesures autoritaires au détriment du pluralisme démocratique.
Un précédent dangereux pour l’Europe
L’Allemagne et la Roumanie ne sont pas des cas isolés. Partout en Europe, les partis populistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, gagnent en influence face à des exécutifs souvent discrédités par des crises migratoires, économiques ou identitaires. La réponse des gouvernements – surveillance, exclusion, voire interdiction – semble indiquer une peur de perdre le contrôle, mais elle pourrait avoir l’effet inverse. En marginalisant des partis comme l’AfD, les autorités risquent de radicaliser davantage leurs électeurs, qui se sentent privés de représentation légitime. Le précédent est d’autant plus inquiétant que la démocratie repose sur la possibilité de débattre et de choisir librement, même des options controversées. Si l’étiquetage d’« extrémiste » devient un outil pour disqualifier toute opposition gênante, comme semble le suggérer la décision allemande, ou si des résultats électoraux sont annulés sous des prétextes opaques, comme en Roumanie, alors la démocratie elle-même devient une coquille vide. Les critiques internationales, comme celles de Rubio et Vance, bien que biaisées par leurs propres agendas politiques, pointent néanmoins un malaise réel : sous couvert de protéger la démocratie, les dirigeants européens risquent de la vider de sa substance.
Vers une démocratie sous contrôle ?
La classification de l’AfD comme extrémiste en Allemagne et l’élimination de Călin Georgescu en Roumanie marquent un tournant préoccupant pour la démocratie en Europe. Ces décisions, prises au nom de la défense des valeurs démocratiques, soulèvent le spectre d’une dérive autoritaire où le pluralisme est sacrifié pour préserver le pouvoir des élites en place. Si la démocratie signifie que les électeurs peuvent choisir leurs représentants, alors disqualifier des partis ou des candidats populaires sous des prétextes juridiques ou idéologiques revient à trahir ce principe fondamental. L’Europe, qui se targue d’être un bastion de la liberté et des droits humains, doit se méfier de cette pente glissante : en cherchant à contenir l’extrémisme, elle risque de devenir elle-même un vecteur d’anti-démocratie, transformant le choix populaire en une simple formalité contrôlée par ceux qui détiennent le pouvoir.
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