Le 4 juin 2025, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a tranché en faveur de la reprise de Verney-Carron, dernier fabricant français d’armes de petit calibre, par le groupe familial ligérien Rivolier. Cette décision, qui écarte l’offre de l’industriel belge FN Browning, marque un tournant pour l’entreprise stéphanoise, en redressement judiciaire depuis février 2025. Alors que l’industrie française de défense traverse une crise profonde, marquée par une désertion des contrats publics au profit de concurrents étrangers, cette reprise sous pavillon français suscite un espoir prudent pour les 55 salariés repris et pour le tissu industriel local.
Une reprise pour préserver un savoir-faire français
Fondée en 1820, Verney-Carron est un fleuron historique de l’armurerie française, implantée sur le boulevard Thiers à Saint-Étienne. La reprise par Rivolier, une entreprise familiale basée à Saint-Just-Saint-Rambert dans la Loire, spécialisée dans la distribution d’équipements pour la chasse, la sécurité et la défense, a été accueillie comme une bouffée d’oxygène. Le maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, a qualifié cette décision d’« excellente nouvelle » pour les salariés, leurs familles et le territoire, tandis qu’Eric Berlivet, maire de Roche-la-Molière, a salué une « dynamique industrielle de proximité ».
Alexandre van Robais, représentant de Rivolier, a exprimé sa fierté : « Nous sommes honorés de relever ce défi. » Pour redresser Verney-Carron, Rivolier a nommé un ancien PDG de FN Browning à sa tête, débauché pour son expertise, avec pour mission de relancer la production et de repositionner l’entreprise sur le marché. À moyen terme, le groupe envisage une nouvelle implantation industrielle dans la Loire d’ici trois ans, un projet qui pourrait consolider l’ancrage local de ce savoir-faire bicentenaire.
Une industrie française en crise : l’exemple de Verney-Carron
La situation de Verney-Carron reflète les difficultés structurelles de l’industrie française, et en particulier du secteur de la défense. Reprise en 2022 par Cybergun, un groupe spécialisé dans l’airsoft, l’entreprise n’a pas réussi à se redresser, accumulant un passif de 20,4 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de seulement 4 millions en 2024. Un contrat prometteur avec une société d’État ukrainienne, prévoyant la livraison de 10 000 fusils d’assaut, 2 000 fusils de précision et 400 lance-grenades pour 36 millions d’euros, ne s’est jamais concrétisé, précipitant la chute de l’entreprise.
Mais au-delà de ses propres difficultés, Verney-Carron est victime d’un phénomène plus large : la perte systématique des contrats publics au profit de concurrents étrangers. Depuis plusieurs années, les choix de l’État français privilégient des acteurs internationaux, souvent au détriment des fabricants nationaux. En 2016, le ministère de l’Intérieur a attribué un contrat de 80 millions d’euros à l’allemand Heckler & Koch pour des pistolets semi-automatiques, délaissant les entreprises françaises. L’année suivante, le remplacement du FAMAS par le HK 416, également produit par Heckler & Koch, a coûté 250 millions d’euros, tandis que des mitrailleuses de 12,7 mm ont été commandées à FN Browning pour 70 millions d’euros. En 2018, la perte du marché des flash-balls au profit du LBD suisse a porté un coup supplémentaire à Verney-Carron, qui n’a cessé de voir ses commandes publiques s’effondrer.
Ces décisions, souvent motivées par des critères de coût et de performance, ont des conséquences dramatiques. Elles contribuent à la désindustrialisation du territoire et à la perte de souveraineté dans un secteur stratégique comme la défense. Les petites et moyennes entreprises françaises, qui représentent 80 % des fournisseurs de l’industrie de l’armement, se retrouvent asphyxiées, incapables de rivaliser avec des géants étrangers soutenus par leurs propres gouvernements. En 2023, sur 4 000 entreprises françaises du secteur, 1 500 étaient en difficulté, et 500 ont cessé leurs activités, selon les chiffres de la Fédération française des industries de défense.
Les défis de la relance sous Rivolier
Pour Rivolier, la priorité est claire : relancer la production, qui était à l’arrêt depuis des mois. Les 55 salariés repris, qui ont connu des salaires versés de manière irrégulière et des périodes de chômage partiel, espèrent un retour à la stabilité. Rivolier, avec un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros, devra investir massivement pour moderniser l’outil industriel et reconquérir des marchés, notamment auprès de la Direction générale de l’armement (DGA). L’expertise de l’ancien PDG de FN Browning pourrait jouer un rôle clé pour remporter de nouveaux contrats, tout en consolidant les segments historiques de Verney-Carron, comme la chasse et le tir sportif.
Cependant, les obstacles sont nombreux. La concurrence internationale reste féroce : FN Browning, par exemple, affiche un chiffre d’affaires de 908 millions d’euros en 2023. De plus, la dépendance aux commandes publiques, souvent attribuées à des acteurs étrangers, constitue un frein majeur. En 2024, 60 % des appels d’offres publics dans le secteur de la défense ont été remportés par des entreprises étrangères, un chiffre qui illustre la difficulté pour les industriels français de se positionner face à des concurrents mieux soutenus.
Un symbole pour l’avenir de l’industrie française
La reprise de Verney-Carron par Rivolier est un symbole fort pour Saint-Étienne, berceau de l’armurerie française. Elle incarne la résilience d’un territoire qui refuse de voir disparaître son patrimoine industriel. Mais elle met aussi en lumière les contradictions de la politique industrielle française. Alors que le gouvernement multiplie les annonces sur le réarmement et la réindustrialisation, les choix d’achat continuent de favoriser des acteurs étrangers, au détriment de la souveraineté nationale. En 2023, seuls 30 % des équipements militaires acquis par la France étaient produits sur le territoire, contre 70 % pour l’Allemagne, qui protège farouchement ses industriels.
L’avenir de Verney-Carron sous la houlette de Rivolier pourrait devenir un test pour la capacité de la France à soutenir ses fleurons industriels. Si la relance réussit, elle pourrait inspirer d’autres initiatives pour revitaliser le secteur de la défense. Dans le cas contraire, elle rappellerait cruellement les limites d’une politique industrielle qui peine à concilier souveraineté et compétitivité. Pour l’heure, Saint-Étienne et les 55 salariés repris peuvent espérer : un nouveau chapitre s’ouvre pour Verney-Carron, avec l’ambition de retrouver les jours glorieux d’un fleuron vieux de plus de deux siècles.
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