Le F-35, fleuron de l’industrie militaire américaine signé Lockheed Martin, traverse une zone de turbulences sans précédent en Europe. Alors que l’appareil s’est imposé comme un symbole de l’interopérabilité au sein de l’OTAN, les récents soubresauts géopolitiques, notamment depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, fissurent l’unité transatlantique et remettent en question la dépendance des nations européennes à cet avion ultra-sophistiqué. Entre coûts exorbitants, critiques techniques et craintes de perte d’autonomie stratégique, le chasseur furtif américain pourrait bien voir ses ailes rognées par une Europe en quête d’indépendance militaire. Mais à quel prix, et pour quels enjeux ?
Un investissement colossal sous pression
En Belgique par exemple, le débat autour du F-35 fait rage. Dès 2018, sous le gouvernement de Charles Michel, le pays s’était engagé à acquérir 34 appareils pour remplacer ses F-16 vieillissants, un contrat estimé à 15 milliards d’euros sur 40 ans. Mais le nouveau ministre de la Défense Theo Francken pousse pour l’achat de 10 F-35 supplémentaires, malgré un budget annuel de la défense qui peine à passer de 8 à 12 milliards d’euros pour répondre aux exigences de l’OTAN. Cette décision intervient dans un contexte de « folie guerrière » alimentée par des leaders comme Emmanuel Macron, Volodymyr Zelensky et Ursula von der Leyen, qui maintiennent une posture russophobe hystérique dans le cadre du conflit ukrainien.
Cependant, la Belgique n’est pas un cas isolé. Selon un article récent du Monde Diplomatique, de nombreux pays européens membres de l’OTAN ont succombé à la « panoplie obligatoire » du F-35. L’Italie, avec plus de 100 appareils, est le premier client européen, tandis que le Royaume-Uni, partenaire de premier niveau, a intégré des composants majeurs via BAE Systems et Rolls-Royce. Des nations comme les Pays-Bas, la Pologne, la Norvège, le Danemark, et récemment la Roumanie (novembre 2024), ont également rejoint le club des acheteurs, portant à 20 le nombre de clients mondiaux de cet avion furtif. Mais derrière ces chiffres impressionnants se cachent des critiques croissantes.
Les failles du F-35 : un colosse aux pieds d’argile ?
Le F-35, souvent présenté comme un bijou technologique grâce à sa furtivité et ses capacités multirôles (air-air, air-sol), n’échappe pas aux controverses. Dès 2021, un rapport du Pentagone relevait 871 déficiences matérielles et logicielles, compromettant son fonctionnement et sa maintenance. Son coût est également un frein majeur : environ 80 millions d’euros par unité, contre 70 millions pour le Rafale français et 60 millions pour le Gripen suédois, avec des frais d’exploitation annuels de 7 à 10 millions par appareil sur une durée de vie de 40 ans. Ces chiffres, rapportés par le Monde Diplomatique, contrastent avec les promesses initiales de Lockheed Martin, qui vantait un appareil « abordable » pour les budgets de défense.
Plus inquiétant encore, le F-35 est perçu comme un outil de dépendance stratégique. Sa maintenance reposant sur des systèmes comme ALIS (Autonomic Logistics Information System), remplacé par ODIN, qui nécessitent une supervision américaine. Des rumeurs persistantes, relayées par des analystes comme Joachim Schranzhofer de Hensoldt (voir : The Avionist en mars 2025), évoquent un possible « kill switch » permettant à Washington de désactiver à distance les appareils en cas de désaccord politique. Bien que le Pentagone démente, cette crainte alimente les doutes des Européens, surtout depuis que Trump a adopté une posture transactionnelle envers l’OTAN, critiquant les contributions financières des alliés et menaçant de réduire l’engagement américain en Europe.
L’Europe à la croisée des chemins
Le retour de Trump a exacerbé les tensions transatlantiques, poussant plusieurs nations à reconsidérer leur dépendance aux États-Unis. Selon un article de The Asia Live (14 mars 2025), le Portugal a été le premier à rejeter publiquement l’achat de F-35 pour remplacer ses F-16, invoquant « l’imprévisibilité » des États-Unis. Le ministre de la Défense portugais, Nuno Melo, a déclaré : « Nous ne pouvons pas ignorer le contexte géopolitique. » Lisbonne explore désormais des alternatives européennes comme l’Eurofighter Typhoon (consortium Airbus) ou le Rafale de Dassault, signalant une possible rupture avec la domination américaine.
Le Canada suit une trajectoire similaire. Après avoir commandé 88 F-35 en 2023, le nouveau Premier ministre Mark Carney a ordonné un réexamen du contrat, comme le rapporte meta-defense.fr (17 mars 2025). Le ministre de la Défense, Bill Blair, étudie des options comme le Gripen suédois, que Saab propose de fabriquer localement. Même l’Allemagne, traditionnellement alignée sur Washington, s’interroge. Le futur chancelier Friedrich Merz a promis un « plan Bazooka » de 500 milliards d’euros sur 12 ans pour renforcer l’industrie européenne de défense. Ce plan, voté en mars 2025 au Bundestag, vise à créer une « communauté européenne de défense », un concept qui pourrait marginaliser les équipements américains.
Un marché de l’armement sous tension
Le F-35 domine le marché mondial de la chasse aérienne, avec plus de 2 750 appareils prévus d’ici 2040, dont 1 763 pour l’US Air Force seule (meta-defense.fr, 17 mars 2025). Mais cette suprématie est menacée. L’Eurofighter Typhoon (750 exemplaires) et le Rafale (550 exemplaires) émergent comme des alternatives crédibles, bien que leurs volumes de production restent modestes. La France, avec Dassault, et le consortium Eurofighter (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne) pourraient tirer parti de cette vague européiste, mais cela nécessitera des investissements massifs. Meta-defense.fr souligne que des entreprises comme Safran, Thales et MBDA doivent réduire leurs délais de fabrication pour répondre à une demande croissante.
Pendant ce temps, les États-Unis font face à leurs propres défis. Des coupes budgétaires potentielles en 2025, rapportées par Air & Space Forces Magazine (23 février 2024), pourraient réduire les achats de F-35 par le Pentagone (de 83 à 69 appareils), augmentant les coûts unitaires pour les clients étrangers. Cette situation pourrait pousser davantage de nations à se tourner vers des solutions européennes, malgré les pressions de Washington.
Vers une autonomie stratégique européenne ?
L’idée d’une « autonomie stratégique » européenne, soutenue par la France depuis des années, prend un nouvel élan. L’Union européenne a nommé son premier Commissaire à la Défense – en violation totale des Traités de Maastricht et de Lisbonne ! -, Andrius Kubilius, en 2025, signalant une volonté de coordonner les politiques de défense (Hogan Lovells, 30 janvier 2025). Cependant, les obstacles restent nombreux : les divergences entre États membres, les résistances nationales à une harmonisation des achats militaires, et les instabilités politiques (comme en France, où le gouvernement Barnier a chuté après 90 jours) freinent les avancées.
Le conflit en Ukraine, qui a vu une quasi-victoire russe après trois ans de guerre (Monde Diplomatique), a également renforcé le besoin d’une Europe plus indépendante. La perte d’accès au gaz russe bon marché a mis en lumière les vulnérabilités énergétiques européennes (S&P Global, 18 mai 2024), tandis que les cyberattaques et les tensions géopolitiques, comme celles avec la Chine, appellent à une résilience accrue (Wellington US Intermediary, 3 février 2025).
Un choix stratégique à double tranchant
Le F-35, symbole de la puissance américaine, est à un tournant. Si son avance technologique présumée et son adoption massive par l’OTAN en font un acteur incontournable, ses failles – coûts, dépendance, incertitudes géopolitiques – alimentent un mouvement de défiance en Europe. Plusieurs pays européens ainsi que la Grande-Bretagne, tiraillés entre leurs engagements atlantiques et les pressions budgétaires, incarnent ce dilemme. Pendant ce temps, l’Union européenne tente de construire une alternative crédible, mais la route vers une véritable autonomie stratégique est semée d’embûches. Entre fossoyeurs de l’ancien ordre transatlantique et croque-morts d’une industrie européenne encore balbutiante, le combat ne fait que commencer. Et nos milliards, eux, continuent de voler en escadrille vers des horizons incertains.
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