Athènes. La Grèce vit depuis 48 heures l’une des plus importantes mobilisations agricoles de ces dernières années. Plus de 20 000 tracteurs ont paralysé une partie du pays, des frontières nord jusqu’aux aéroports de Crète, pour exiger le versement immédiat des aides européennes bloquées à la suite d’un scandale de fraude massif.
Un détournement record qui a tout gelé
Tout a commencé en février 2025 quand l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et le Parquet européen ont révélé l’existence d’un système organisé de détournement des subventions agricoles.
Sur la seule île de Crète, près de 80 % des aides accordées aux pâturages entre 2017 et 2020 auraient été indûment perçues grâce à de fausses déclarations de propriété et de cheptel.
Le préjudice total est estimé à plusieurs centaines de millions d’euros.
Conséquence : l’agence grecque chargée de distribuer les fonds européens, l’OPEKEPE, a été placée sous tutelle et soumise à un audit exhaustif de plus de 40.000 dossiers. Résultat : les paiements gelés pour tout le monde, y compris pour les agriculteurs honnêtes. Le manque à gagner est aujourd’hui chiffré à plus de 600 millions d’euros.
« On nous punit pour les fautes des autres » , résume Prokopis Bandzis, éleveur à Lesbos. « Avec le changement climatique et la variole ovine qui nous a fait abattre la moitié de nos bêtes, ces aides étaient notre dernière bouée. »
Crète : la colère explose sur les pistes d’atterrissage
Lundi 8 décembre, la situation a basculé. À l’aéroport international d’Héraklion-Níkos-Kazantzákis, plusieurs dizaines de tracteurs ont forcé les grilles et envahi la piste, provoquant l’annulation de trois vols et des retards en cascade. À Chania, dans l’ouest de l’île, les affrontements ont été plus violents : vitres de voitures de police brisées à coups de croc de berger, deux blessés légers, gaz lacrymogène. Les auteurs des dégradations ont été identifiés et seront poursuivis.
« On ne partira pas tant que l’argent ne sera pas débloqué », a lancé Yannis Karvelis, président du syndicat des agriculteurs de Crète, depuis le capot de son tracteur garé devant le terminal.
Le pays à l’arrêt
Au même moment, les grands axes routiers étaient pris d’assaut :
- Autoroute Athènes-Thessalonique : barrages filtrants toutes les deux heures.
- Frontière de Promachonas (avec la Bulgarie) et Kipi (avec la Turquie) : fermeture alternée, files de plusieurs kilomètres de camions.
- Menace imminente de blocage des ports de Thessalonique et de Volos par terre et par mer dès mercredi 10 décembre.
Le gouvernement sous pression
Face à l’ampleur du mouvement, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a promis mardi soir une « réforme totale » de l’OPEKEPE et la distribution, malgré tout, de 3,7 milliards d’euros d’aides européennes d’ici la fin de l’année.
Cinq hauts responsables, dont un ministre, avaient déjà démissionné en juin après la révélation du scandale.
Mais pour les agriculteurs, ces annonces ne suffisent plus. « On veut des dates précises et des sanctions exemplaires contre les fraudeurs, pas des promesses », martèle Giorgos Kontos, porte-parole du mouvement panhellénique.
Vers une prolongation du conflit ?
Les mobilisations agricoles grecques ont déjà, par le passé, paralysé le pays pendant des semaines. Cette fois, la colère est double : économique (survie immédiate des exploitations) et morale (sentiment d’injustice face à l’impunité des fraudeurs). Tant que les virements ne tomberont pas sur les comptes, les tracteurs risquent de rester sur les routes… et sur les pistes d’atterrissage.
La Commission européenne, qui suit le dossier de près, a rappelé mardi que « la lutte contre la fraude ne doit pas pénaliser les bénéficiaires légitimes ». Un vœu pieux, pour l’instant, face à la colère des champs grecs.


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