Dans un monde où les menaces extérieures dominent souvent les débats stratégiques, il est temps de tourner notre regard vers l’intérieur. Les nations occidentales, longtemps considérées comme des bastions de stabilité et de prospérité, font face à des fissures internes qui pourraient mener à des conflits civils dévastateurs. Cet article s’inspire de deux essais percutants publiés dans le Military Strategy Magazine par David Betz, un expert en stratégie militaire. Le premier, intitulé « Civil War Comes to the West » (publié en été 2023), explore les causes et la logique stratégique sous-jacente à ces potentiels conflits. Le second, « Civil War Comes to the West, Part II: Strategic Realities » (printemps 2025), se penche sur les formes que pourraient prendre ces guerres et les stratégies pour en atténuer les dommages. En synthétisant ces analyses, nous examinerons pourquoi la guerre civile pourrait dominer les affaires militaires occidentales dans les années à venir, contredisant les attentes traditionnelles axées sur les guerres interétatiques ou les conflits asymétriques externes.
Ces essais soulignent un tournant historique : l’Occident n’est plus un « jardin » protégé, comme l’a décrit Josep Borrell, le chef des affaires étrangères de l’UE en octobre 2022, mais un terrain fertile pour des instabilités internes. Borrell opposait l’Europe, vue comme un espace ordonné, au « jungle » du reste du monde. Pourtant, Betz argue que cette hubris masque les vraies menaces : instabilité sociale, déclin économique, dessèchement culturel et pusillanimité des élites. Cet article vise à fournir une exploration exhaustive, couvrant les causes, la conduite, la logique stratégique, les formes probables et les mesures d’atténuation, pour alerter et préparer les lecteurs à cette nouvelle réalité.
Les causes de l’instabilité interne en occident
La littérature sur les guerres civiles a traditionnellement exclu les nations riches et stables comme l’Occident de ses analyses. Les démocraties légitimes et les autocraties fortes sont vues comme immunisées contre de tels conflits, qui prospèrent plutôt dans des sociétés factionnalisées où une majorité ou une minorité significative perçoit un déclin de son statut. Cependant, Betz remet en question ces hypothèses, affirmant que les conditions en Occident évoluent rapidement vers un terrain propice aux troubles civils.
Depuis la fin de la Guerre froide, la fragmentation culturelle s’est accentuée. Arthur Schlesinger, en 1991, avertissait déjà que le multiculturalisme pourrait mener à la « désunion de l’Amérique » en encourageant les identités ethniques et raciales au détriment d’une identité nationale unifiée. Des données récentes corroborent cela : l’Edelman Trust Barometer et le Pew Research Centre montrent un déclin marqué de la confiance sociale et du capital social aux États-Unis et en Europe. Par exemple, en 2023, seuls 27 % des Américains faisaient confiance à leurs concitoyens, contre 50 % en 1990. En Europe, des leaders comme Angela Merkel et David Cameron ont critiqué le multiculturalisme pour son échec à intégrer les immigrés, menant à des sociétés parallèles.
Les médias sociaux amplifient cette polarisation. Les algorithmes favorisent les contenus extrêmes, transformant les débats en « conflits intertribaux ». Un exemple concret est la violence à Leicester, au Royaume-Uni, en 2022, entre populations hindoues et musulmanes, alimentée par des rumeurs en ligne. L’identité politique, exacerbée par des mouvements comme Black Lives Matter ou les débats sur le genre, crée des clivages profonds. Betz note que ces dynamiques ne sont pas nouvelles, mais leur intensité actuelle, combinée à des facteurs économiques, rend les conflits inévitables.
Sur le plan économique, le déclin est patent. La désindustrialisation, la stagnation des salaires et la hausse des coûts de l’énergie et du logement creusent les inégalités. Aux États-Unis, le revenu médian stagne depuis les années 1970, tandis que l’endettement étudiant explose. En Europe, la crise énergétique post-2022 a exacerbé les tensions. Historiquement, de tels écarts entre attentes et réalité mènent à des révolutions, comme l’a théorisé James Davies avec sa « courbe en J ». Betz argue que l’Occident, autrefois riche, voit maintenant ses populations « rétrograder » – un sentiment de déclassement qui alimente le populisme et la radicalisation.
De plus, la démographie joue un rôle clé. L’immigration massive, souvent asymétrique (favorisant certaines cultures au détriment d’autres), crée des frictions. En France, par exemple, les banlieues multiculturelles sont des foyers de tensions, avec des émeutes récurrentes comme celles de 2005 ou 2023. Betz cite des études montrant que les sociétés modérément homogènes sont les plus instables lorsque le statut d’une majorité change. Avec une immigration nette record au Royaume-Uni (745.000 en 2022) et des projections démographiques indiquant que les Blancs deviendront minoritaires aux États-Unis d’ici 2045, ces changements perçus comme une « remplacement » par certains groupes alimentent les théories « conspirationnistes » et les appels à la violence.
En somme, ces causes – fragmentation culturelle, polarisation médiatique, déclin économique et changements démographiques – convergent pour créer un cocktail explosif.
Betz estime que la probabilité annuelle de guerre civile dans un pays occidental est d’environ 4 %, menant à une probabilité cumulée de 18,5 % sur cinq ans pour un seul pays, et bien plus élevée si l’on considère l’effet de contagion en Europe.
La conduite des guerres civiles en occident
Les guerres civiles ne ressemblent pas aux conflits interétatiques classiques. Elles sont intimes, politiquement intenses et socialement sauvages, impliquant souvent des voisins contre voisins. Betz compare les potentielles guerres occidentales à celles d’Amérique centrale dans les années 1970-1980, comme au Salvador ou au Nicaragua, où les assassinats politiques, les disparitions et la prédation criminelle étaient courants. Contrairement aux guerres étrangères, ces conflits touchent tout le monde, même les élites qui ne peuvent s’isoler indéfiniment.
La radicalisation n’est pas limitée à l’extrême droite, comme on l’entend souvent. Betz cite un tract gauchiste français de 2007, L’Insurrection qui vient, qui prône des attaques sur les infrastructures urbaines pour précipiter le collapse sociétal. Des exemples récents en France incluent l’enlèvement d’un cadre de TotalEnergies en 2023 et des attaques contre des statues, indiquant que les conflits culturels sont déjà en cours. Aux États-Unis, des figures comme le général Michael Flynn publient des guides sur la « guerre de cinquième génération », éducant le public sur les tactiques de révolte.
Betz prévoit des guerres basées sur les croyances, la couleur de peau et la religion, avec l’identité politique comme ligne de fracture principale. Le multiculturalisme asymétrique – où les cultures immigrées sont célébrées tandis que les traditions occidentales sont déconstruites – exacerbe cela.
Les villes, hétérogènes et dépendantes, seront des épicentres, opposées aux zones rurales plus homogènes et autonomes.
Des incidents comme les émeutes de Belfast en 2011 ou les sabotages en France pendant les JO de 2024 illustrent cette dynamique urbaine-rurale.
La sauvagerie potentielle est soulignée par des exemples historiques : la Guerre d’Espagne (1936-1939) avec son iconoclasme anti-clérical. En Occident, cela pourrait se traduire par des destructions de symboles culturels, comme les statues déboulonnées lors des mouvements BLM, ou des attaques contre des musées. Betz avertit que ces conflits seront « sales », impliquant des milices irrégulières, des gangs criminels et des forces étatiques divisées.
La logique stratégique sous-jacente
La logique stratégique des guerres civiles occidentales repose sur l’exploitation des vulnérabilités urbaines. Betz s’appuie sur des penseurs comme Murray Bookchin, qui en 1974 soulignait la fragilité des villes modernes, dépendantes de chaînes d’approvisionnement quotidiennes et fragiles. Un tract comme L’Insurrection qui vient propose de cibler les infrastructures critiques : stations-service, pipelines, réseaux électriques et transports. Une explosion comme celle de Ghislenghien en Belgique (2004), qui a tué 24 personnes, montre comment un sabotage domestique pourrait causer des chaos en cascade.
Les villes occidentales ne produisent pas leur nourriture ; elles dépendent de livraisons quotidiennes. Une disruption de trois jours pourrait mener à des famines urbaines, forçant des exodes massifs. Les zones rurales, avec leurs ressources locales, offriraient une sécurité relative, inversant le paradigme traditionnel où les villes sont des refuges. Betz note que les infrastructures critiques sont souvent rurales – pipelines traversant des campagnes, fermes isolées – rendant les attaques faciles pour des groupes armés.
Cette stratégie vise à précipiter un effondrement systémique, exploitant la « feralité » croissante des villes, un concept de Richard Norton décrivant des métropoles où l’État perd le contrôle sans que la ville s’effondre totalement. Des villes comme Paris, Londres ou Los Angeles montrent déjà des signes : zones de non-droit, corruption politique et infrastructures défaillantes. Avec la polarisation politique – comme vu dans les cartes électorales françaises de 2024 opposant villes progressistes et campagnes conservatrices – ces divisions spatiales deviendront des lignes de front.
Betz calcule que sur cinq ans, la probabilité d’une guerre civile en Europe occidentale est élevée : 87-95 % dans au moins un pays sur dix à quinze, avec 60-72 % de contagion.
Cela souligne l’urgence d’une préparation stratégique, non pour gagner, mais pour minimiser les dommages.
Les formes probables des conflits et les stratégies d’atténuation
Dans la seconde partie de son analyse, Betz explore les formes que prendront ces guerres et les stratégies pour les atténuer. Les objectifs stratégiques ne sont pas la victoire totale, mais la limitation des dégâts : raccourcir la durée du conflit, protéger le capital humain et culturel, et empêcher les interventions étrangères qui prolongent les guerres (comme vu dans 70 % des cas post-1945).
Les « villes férales » seront centrales. Norton définit ces espaces comme fonctionnels internationalement mais chaotiques localement, avec des gangs remplaçant l’État. En Occident, des tendances comme les émeutes urbaines et les sabotages (ex. : destruction de caméras ULEZ à Londres en 2023) indiquent une trajectoire vers plus de féralité. Betz prévoit des attaques sur les infrastructures, menant à des pannes généralisées et des migrations forcées.
Pour protéger le « capital culturel », Betz met en garde contre l’iconoclasme stratégique, qui vise à effacer l’identité adverse. Des exemples historiques incluent la destruction des Bouddhas de Bamiyan par les Talibans (2001) ou les actes anti-cléricaux en Espagne (1936). En Occident, cela pourrait cibler des musées ou des monuments. Il recommande d’utiliser le manuel militaire de l’UNESCO de 2016 pour planifier la protection, avec des précédents comme le déplacement des trésors britanniques pendant la WWII ou les efforts allemands de « Kunstschutz » (terme allemand pour désigner le principe de préservation du patrimoine artistique pendant les conflits armés).
Les « zones sécurisées » sont essentielles pour les civils. Contrairement aux conflits externes, les déplacements en guerre civile servent à altérer les démographies (ex. : Bosnie 1992-1995). Betz propose d’établir des zones de danger réduit, inspirées des interventions passées comme le Kurdistan irakien. Cela implique des cartographies préalables, des stocks de ressources et des bunkers.
Enfin, pour les « États défaillants et matériaux fissiles », Betz tire des leçons de l’effondrement soviétique (1991), où le programme Cooperative Threat Reduction a sécurisé les armes de destruction massive (ADM). En Occident, avec des arsenaux nucléaires en France et au Royaume-Uni, il faut valider les chaînes de commandement et les stockages pour éviter des fuites vers des milices.
Surmonter le biais de normalité
Betz conclut en avertissant contre le « biais de normalité » qui paralyse les établissements de défense occidentaux, focalisés sur des menaces externes comme la Russie ou la Chine. Les guerres civiles, moins étudiées militairement, exigent un réalignement : former des forces pour des opérations internes, protéger les infrastructures et éduquer le public. Comme l’a dit Yeats dans « The Second Coming », « les choses s’effondrent ; le centre ne tient plus ». L’Occident doit se préparer, ou risquer un déclin accéléré.
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