Dans un monde où les alliances géopolitiques se redessinent, la rivalité historique entre le Royaume-Uni et la France persiste, se manifestant aujourd’hui sous une forme économique acerbe, particulièrement dans le secteur de la défense aéronautique. Bien que l’Entente Cordiale de 1904 ait scellé une paix durable, les tensions resurgissent régulièrement, alimentées par des intérêts nationaux divergents. Le Royaume-Uni, post-Brexit, semble engagé dans une guerre économique subtile contre la France, en promouvant agressivement son chasseur Eurofighter Typhoon au détriment du Rafale français de Dassault Aviation. Cette dynamique est exemplifiée par les récents efforts britanniques pour intégrer la Turquie au club des utilisateurs du Typhoon, un mouvement qui non seulement relance la production britannique mais affaiblit potentiellement les positions françaises sur les marchés internationaux. Basé sur des sources variées, cet article explore cette animosité, en se focalisant sur la concurrence Typhoon-Rafale.
Les racines historiques de la rivalité aéronautique
La rivalité entre le Typhoon et le Rafale remonte aux années 1980, lorsque la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne envisageaient un projet commun de chasseur européen. Cependant, des désaccords profonds sur les exigences de design, les partages de travail et les priorités stratégiques ont conduit la France à quitter le programme en 1985 pour développer seule le Rafale. Ce départ, perçu comme un acte d’indépendance gaulliste, a laissé un goût amer aux partenaires britanniques, qui ont poursuivi avec l’Eurofighter Typhoon, un consortium dominé par BAE Systems (UK), Airbus et Leonardo.
Cette scission a posé les bases d’une concurrence féroce. Le Rafale, polyvalent et entièrement français, a souvent été opposé au Typhoon dans des appels d’offres internationaux.
Par exemple, en Inde, en 2011, l’Indian Air Force a sélectionné le Rafale face au Typhoon pour un contrat de 10,4 milliards de dollars, un revers majeur pour les Britanniques.
Des analyses soulignent que cette rivalité n’est pas seulement technique mais économique : le Royaume-Uni, cherchant à maintenir son industrie de défense, utilise des leviers diplomatiques pour promouvoir le Typhoon, souvent au détriment des exportations françaises. Cette « guerre économique » s’inscrit dans une animosité plus large, où le Brexit a exacerbé les tensions, transformant l’UE en terrain de compétition pour les contrats de défense.
Le cas de la Turquie : Un front direct dans la guerre économique
Le point culminant récent de cette animosité est l’ouverture par le Royaume-Uni de la voie à l’adhésion de la Turquie au club des utilisateurs de l’Eurofighter Typhoon. Selon un article publié le 23 juillet 2025, le Royaume-Uni et la Turquie ont signé un mémorandum d’entente lors du salon IDEF 2025 à Istanbul, marquant un pas significatif vers l’acquisition par Ankara de 40 Typhoon. Ce deal, estimé à plusieurs milliards de livres, est poussé par le ministre britannique de la Défense, John Healey, qui y voit un moyen de « renforcer la défense collective de l’OTAN et de stimuler les bases industrielles des deux pays, en préservant des milliers d’emplois qualifiés au Royaume-Uni ».
Cette initiative britannique n’est pas anodine : elle intervient après que l’Allemagne a levé son veto sur les exportations vers la Turquie, suite au traité de Kensington signé entre le Premier ministre Keir Starmer et le chancelier Friedrich Merz. Le Royaume-Uni, dont les lignes d’assemblage de BAE Systems pour le Typhoon étaient inactives faute de commandes, voit dans ce contrat une bouée de sauvetage économique, potentiellement le premier export de Typhoon depuis le Qatar en 2017. Cependant, cela constitue une attaque directe contre les intérêts français. La Turquie, exclue du programme F-35 américain en raison de l’achat de systèmes S-400 russes, cherchait des alternatives, et le Rafale était une option viable, comme l’ont montré des discussions passées.
Pire, ce deal inclut potentiellement des missiles Meteor à longue portée, intégrables au Typhoon, ce qui pourrait éroder l’avantage aérien de la Grèce – alliée proche de la France et équipée de 24 Rafale –dans les tensions gréco-turques relatives à la région d’information de vol (FIR) d’Athènes, une zone aérienne contestée couvrant une grande partie de la mer Égée.
La Grèce a exhorté la France à bloquer ces ventes, mais le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a déclaré que la France n’avait « aucun rôle » dans l’intégration du Meteor au Typhoon, optant pour la diplomatie plutôt que le veto. Des commentateurs voient dans cette position britannique une forme de sabotage économique, visant à priver Dassault de marchés potentiels tout en relançant l’industrie britannique.
D’autres fronts de la guerre économique : Compétitions globales et tensions industrielles
Au-delà de la Turquie, la rivalité Typhoon-Rafale se manifeste dans de multiples appels d’offres. En Europe, les deux appareils coexistent, mais le Royaume-Uni retire prématurément ses Typhoon Tranche 1, suscitant des débats sur sa stratégie industrielle et sa dépendance aux États-Unis, contrastant avec l’autonomie française du Rafale. Globalement, le Typhoon a été promu agressivement par le Royaume-Uni dans des pays comme l’Arabie saoudite ou l’Indonésie, où il concurrence directement le Rafale.
Cette guerre économique s’étend aux projets futurs. Le programme franco-germano-espagnol de Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) est miné par des tensions entre Dassault et Airbus, avec des accusations de sabotage qui pourraient mener la France à un développement solo, rappelant la scission de 1985. Le Royaume-Uni, de son côté, poursuit son propre programme Tempest, excluant la France et renforçant une fragmentation européenne qui bénéficie aux intérêts britanniques post-Brexit.
Malgré des signes de coopération, comme la reprise de production du missile Storm Shadow/SCALP-EG entre le Royaume-Uni et la France pour reconstituer les stocks après les livraisons à l’Ukraine, ces partenariats masquent une concurrence sous-jacente. Des analystes soulignent que le Royaume-Uni utilise son influence au sein de l’OTAN pour favoriser ses exportations, au détriment de la cohésion européenne et des emplois français dans l’industrie de défense.
Une animosité persistante aux conséquences géopolitiques
L’animosité du Royaume-Uni envers la France, bien que voilée par des discours alliés, se traduit par une guerre économique impitoyable dans le domaine aéronautique. Le cas du Typhoon en Turquie illustre parfaitement comment Londres priorise ses intérêts nationaux – sauvegarde d’emplois et relance industrielle – au risque d’affaiblir les positions françaises et de déstabiliser des alliés comme la Grèce. Cette rivalité, enracinée dans des divergences historiques, risque de fragmenter davantage l’Europe de la défense, au profit de puissances extérieures comme les États-Unis ou la Chine. Pour contrer cela, une coopération accrue s’impose, mais tant que les enjeux économiques primeront, la « perfide Albion » continuera de hanter les couloirs de l’industrie française.
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