Le Pérou traverse actuellement une crise politique et sociale majeure, marquée par des manifestations intenses qui ont dégénéré en affrontements violents. La destitution récente de la présidente a exacerbé les tensions, avec des dizaines de blessés parmi les manifestants et les forces de l’ordre, ainsi qu’au moins un décès attribué à un tir policier.
Ce mouvement populaire, qui s’inscrit dans un contexte de mécontentement généralisé, met en lumière des problèmes structurels profonds, dont la corruption au plus haut niveau de l’État est le fer de lance.
Une histoire de corruption présidentielle ininterrompue
Pour comprendre l’ampleur de la colère populaire, il faut se pencher sur l’historique récent des dirigeants péruviens. Depuis les années 1980-1990, les dix derniers présidents ont tous été impliqués dans des scandales de corruption massifs, menant la plupart à la prison ou à des fins tragiques. Voici un aperçu chronologique :
- Alan García Pérez : Accusé de corruption, il s’est suicidé lors d’une tentative d’arrestation.
- Alberto Fujimori : Condamné pour corruption et violations des droits humains, il a purgé une peine de prison.
- Alejandro Toledo : Impliqué dans des affaires de pots-de-vin, il est actuellement incarcéré.
- Alan García (deuxième mandat) : De nouveau accusé de corruption, il a mis fin à ses jours.
- Ollanta Humala : Poursuivi pour corruption, il risque une condamnation imminente.
- Pedro Pablo Kuczynski : Condamné pour corruption, il purge sa peine en résidence surveillée en raison de son âge avancé.
- Martín Vizcarra : Accusé de corruption, il fait face à des procès qui pourraient le mener en prison.
- Pedro Castillo : Destitué et emprisonné pour tentative de coup d’État et corruption.
- Dina Boluarte : Première femme présidente, elle a été destituée il y a une semaine pour corruption massive, incluant plus de 50 chefs d’accusation. Son mandat a été marqué par une répression violente des manifestations, causant plus de 50 morts parmi les civils.
Ces affaires impliquent des sommes astronomiques et des réseaux complexes de malversations. Le cas le plus récent, surnommé le « Rolex Gate » , a éclaté lorsque des photos et vidéos ont révélé que Dina Boluarte possédait des montres Rolex, bijoux et objets de luxe valant des dizaines de milliers d’euros, non déclarés dans son patrimoine. Une perquisition à son domicile a confirmé ces découvertes, marquant une intervention judiciaire inédite au Pérou.
Le nouveau président de transition, José Arista (nommé il y a environ une semaine), n’échappe pas à la controverse. Avant même sa nomination, il faisait l’objet d’une quinzaine d’enquêtes pour corruption, ainsi que d’allégations d’abus de pouvoir, incluant des interventions judiciaires suspectes en sa faveur.
Les revendications des manifestants : au-delà de la corruption
Les protestations, initialement pacifiques, portent sur un « bingo » classique de doléances sociales : plus de pouvoir d’achat, moins de corruption, et une lutte contre l’insécurité. Cependant, la corruption occupe la première place, perçue comme le cancer qui ronge le pays entier. Les manifestants dénoncent un système où
la police, censée protéger les citoyens, agit souvent comme une mafia : extorsions auprès des commerçants, implication dans des trafics de gangs, et une absence flagrante lors des crimes nocturnes.
Sous le mandat de Dina Boluarte, qui n’a duré que deux ans, plus de 5.000 Péruviens ont été assassinés, souvent pour non-paiement de « frais » à des groupes criminels, avec une accélération récente à 900 victimes en quelques mois.
L’approbation populaire pour l’ancienne présidente avait chuté à seulement 2 %, reflétant un rejet massif. Les manifestants accusent le Congrès de produire des « lois malodorantes » favorisant la délinquance et appellent à un gouvernement qui représente véritablement le peuple. Les forces de l’ordre, déployées en masse pour intimider, ont rapidement transformé les rassemblements en chaos, avec des applaudissements ironiques de la foule face à l’inaction policière lors des vrais dangers.
Des problèmes économiques et sociaux profonds
Au-delà de la politique, le Pérou fait face à des défis socio-économiques exacerbés par la corruption. Une nouvelle loi sur les pensions oblige les citoyens à souscrire à des régimes privés, avec des cotisations mensuelles obligatoires – une mesure irréaliste dans un pays où 73 % de la population travaille au noir, sans contrats formels. Le coût de la vie à Lima, par exemple, représente environ 50 % de celui en France, mais plus d’un tiers des Péruviens survivent avec moins de 88 euros par mois. Imaginer vivre avec un tel budget dans un contexte de prix réduits de moitié souligne l’ampleur de la précarité.
Le système de santé public, sur lequel repose la majorité de la population, est en déliquescence. Les hôpitaux manquent de ressources : une seule machine de scanner pour un grand établissement, souvent en panne ; des délais d’un an pour des consultations spécialisées comme l’ophtalmologie ou la dermatologie ; et des déserts médicaux forçant des trajets d’une heure ou plus. Des milliards d’euros alloués annuellement au secteur disparaissent mystérieusement en route, alimentant les soupçons de détournements. Le privé, efficace mais inaccessible, creuse les inégalités.
Ces problèmes rappellent ceux d’autres pays, comme l’Indonésie ou le Népal, où des mouvements similaires ont éclaté. Mais au Pérou, la corruption est si enracinée qu’elle semble constituer l’essence même du système – « 80 % de corruption, 20 % de Pérou », comme l’illustre une métaphore culinaire.
Schémas similaires dans d’autres pays : un modèlen mondial de révoltes
Ce type de crise n’est pas isolé au Pérou et s’inscrit dans une vague mondiale de contestations contre la corruption endémique, les inégalités et les élites déconnectées. Par exemple, aux Philippines, des milliers de personnes – plus de 33.000 – ont manifesté en septembre contre des scandales impliquant des projets de contrôle des inondations totalisant des milliards d’euros, entachés de pots-de-vin et de pertes dues à la corruption. Ces protestations, initialement pacifiques, ont dégénéré en violences près du palais présidentiel, avec des lancers de pierres, bouteilles et bombes incendiaires, menant à plus de 200 arrestations, des dizaines de blessés parmi les policiers et manifestants, et au moins un décès par arme blanche. Le gouvernement a réagi en formant une commission d’enquête et en acceptant des démissions, mais les événements soulignent un rejet croissant des dynasties familiales corrompues, avec des parallèles à des mouvements en France ou au Brésil.
Au Népal, des tensions extrêmes ont éclaté début septembre 2025, portées par la génération Z face à un chômage des jeunes dépassant 20 %, une pauvreté touchant un cinquième de la population, et une corruption systémique avec un indice bas selon les classements internationaux. Les manifestations, déclenchées par une censure de 26 plateformes numériques, ont mené à l’incendie du Parlement et de résidences ministérielles, des évasions de prisonniers, et des affrontements causant au moins 19 morts et plus de 100 blessés. Le Premier ministre a démissionné et fui, tandis que l’armée a pris le contrôle, avec des défections parmi les forces de l’ordre rejoignant les protestataires. Cette « révolution Gen Z » évoque des leçons pour des pays comme la France, où des inégalités et une répression similaire pourraient mener à un basculement chaotique si les frustrations s’accumulent.
À Madagascar, une crise sociale a rapidement évolué vers un coup d’État fin septembre 2025, initiée par des manifestations contre les coupures d’électricité et d’eau, dans un contexte de pauvreté affectant plus de 75 % de la population et de corruption chronique. Les protestations, menées par la jeunesse, ont dégénéré en violences avec des tirs à balles réelles, des gaz lacrymogènes causant au moins 11 morts (dont des enfants), et des pillages généralisés de centres commerciaux et infrastructures. Le président a fui le pays, son gouvernement a été dissous, et l’armée a pris le pouvoir pour une transition, promettant des élections futures. Ces événements, marqués par une passivité ou complicité des forces de l’ordre lors des pillages, font écho aux crises aux Philippines et au Népal, illustrant comment la trahison des élites peut mener à un effondrement rapide.
Ces cas mondiaux mettent en évidence un schéma récurrent : une jeunesse exaspérée par la corruption et les inégalités force des changements radicaux, souvent au prix de violences et d’instabilité, servant d’avertissement pour d’autres nations confrontées à des dynamiques similaires.
Vers un avenir incertain
Les manifestations au Pérou ont dégénéré en incendies et blocages, forçant le gouvernement à nommer un président de transition. Pourtant, la rue gronde toujours, refusant « plus de la même chose ». Ce schéma se répète de pays en pays, soulevant des questions sur la stabilité globale. En observant l’histoire de nations comme la France, marquée par des révoltes intenses, on peut craindre que des frustrations accumulées ne mènent à des explosions plus violentes encore.
Le Pérou, souvent dépeint comme un paradis touristique avec ses sites luxueux, cache une réalité bien plus sombre pour la majorité. Cette crise met en lumière l’urgence de réformes profondes pour restaurer la confiance et assurer un avenir viable à ses citoyens.
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