Genèse des BRICS : Une réponse à l’hégémonie occidentale
L’acronyme BRICS, formé des initiales du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, est né en 2001 sous la plume de l’économiste Jim O’Neill, qui identifiait ces pays comme des puissances économiques émergentes. Ce n’est qu’en 2006 que le groupe s’est formalisé, avec un premier sommet officiel en 2009 en Russie. Conçu initialement comme un forum économique pour coordonner les intérêts de ces nations, les BRICS ont évolué pour devenir une plateforme géopolitique visant à rééquilibrer l’ordre mondial face à la domination occidentale, incarnée par les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) et le dollar américain. En 2024, l’élargissement aux BRICS+ avec l’intégration de l’Égypte, de l’Éthiopie, de l’Iran, des Émirats arabes unis et de l’Indonésie a porté leur poids démographique à près de la moitié de la population mondiale et leur part du PIB mondial à environ 40 %, renforçant leur ambition de proposer une alternative multipolaire.
Le Sommet de Rio 2025 : Contexte et enjeux
Le sommet des BRICS, prévu les 6 et 7 juillet 2025 à Rio de Janeiro sous la présidence brésilienne, s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu, marqué par des conflits (Ukraine, Iran), une montée du protectionnisme occidental et le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Ce rendez-vous est crucial pour plusieurs raisons que nous allons étudier.
Une présidence brésilienne ambitieuse mais complexe
Sous la houlette du président Luiz Inácio Lula da Silva, le Brésil cherche à maximiser l’influence des BRICS tout en jouant un rôle de pont entre le Sud global et l’Occident. Selon Yaroslav Lissovolik, économiste et expert des BRICS, le Brésil tire parti de sa présidence simultanée du G20 (2024) et de l’organisation de la COP30 pour connecter les BRICS à d’autres forums mondiaux. Lula met l’accent sur la durabilité, le multilatéralisme et la coopération financière, notamment via la Nouvelle Banque de Développement (NDB) présidée par Dilma Rousseff et BRICS Pay. Cependant, la position du Brésil est ambiguë : membre fondateur des BRICS, il maintient des relations étroites avec l’Occident, comme en témoigne l’accord UE-Mercosur promu par Lula et imposé à Emmanuel Macron. Cette dualité illustre une volonté de ne pas rompre avec l’Occident tout en soutenant l’émancipation du Sud global.
Absences notables et tensions internes
Le sommet de Rio est marqué par des absences significatives. Vladimir Poutine, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), ne participera pas, le Brésil n’ayant pas garanti son immunité, contrairement à la Mongolie récemment. Plus surprenant, Xi Jinping, qui n’a manqué aucun sommet depuis 2013, pourrait également être absent, peut-être en raison de tensions avec l’Inde ou d’un désaccord sur l’organisation du sommet, avancé de six mois pour coïncider avec la COP30. L’absence de Xi Jinping souligne les défis d’une organisation hétérogène, où les intérêts divergent, tandis que celle de Vladimir Poutine reflète les contraintes imposées par les pressions occidentales et le cadre juridique international de plus en plus décrié par les pays du Sud global. L’Arabie saoudite, bien que candidate, reste en position d’observateur, influencée par ses liens avec les États-Unis et la réélection de Trump, proche de Mohammed ben Salmane.
Objectifs clés : Dédollarisation et gouvernance mondiale
Le sommet mettra l’accent sur plusieurs priorités :
- Dédollarisation et coopération financière : Les BRICS poursuivent leur effort pour réduire la dépendance au dollar, notamment via des plateformes d’échange en monnaies locales. La Russie et la Chine réalisent déjà 95 % de leurs échanges en roubles et yuans, un modèle que le groupe souhaite étendre. La NDB joue un rôle clé, avec l’adhésion récente de pays comme l’Algérie et des discussions avec la Colombie et l’Uruguay. Une plateforme panafricaine d’échange en monnaies locales, impliquant 150 banques, illustre également ce mouvement.
- Réforme des institutions internationales : Les BRICS plaident pour une réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de contrer le protectionnisme occidental et de relancer les cycles de négociation commerciale. Ils critiquent le double standard occidental, notamment l’inaction de l’OMC face aux sanctions unilatérales.
- Gouvernance de l’IA : Lula a annoncé une déclaration mondiale sur la gouvernance de l’intelligence artificielle, une initiative audacieuse qui positionne les BRICS comme des leaders sur des enjeux technologiques globaux.
- Paix et sécurité : Face aux conflits en Ukraine et en Iran, les BRICS cherchent à promouvoir une architecture de sécurité basée sur le respect du droit international, condamnant les interventions unilatérales, comme les frappes américaines sur l’Iran.
Le format BRICS+ : Élargissement et intégration régionale
Le format BRICS+, lancé en 2017, est une priorité pour le Brésil, qui invite des pays sud-américains (Chili, Colombie, Uruguay, Mexique) et de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) à participer. Si l’élargissement du noyau des BRICS est en pause pour consolider l’intégration des nouveaux membres, la « ceinture de partenariat » s’élargit, avec des candidats comme le Vietnam. Lissovolik souligne la nécessité d’un meilleur équilibre régional, l’Amérique latine étant sous-représentée par rapport à l’Eurasie. Cet élargissement vise à renforcer la coopération Sud-Sud, mais il complexifie la prise de décision en raison de la diversité des intérêts.
Les BRICS face à l’Occident : Coopération ou confrontation ?
Les BRICS ne se positionnent pas en opposition frontale à l’Occident, mais comme une alternative pour un monde plus équitable. Ils critiquent le double standard occidental, illustré par les interventions en Iran ou la violation des accords de Minsk, tout en prônant le respect de la charte de l’ONU. Cependant, la réélection de Trump, qui menace d’imposer des taxes de 100 % aux pays abandonnant le dollar, complique leur stratégie. Les BRICS pourraient contrer ce protectionnisme en renforçant leur coordination à l’OMC et en promouvant des accords commerciaux régionaux.
En Europe, des pays comme la Serbie, la Hongrie et l’Italie montrent un intérêt pour les BRICS, attirés par les opportunités économiques et leur opposition à l’hégémonie unipolaire. Toutefois, l’Union européenne, sous l’influence de figures comme Ursula von der Leyen, reste alignée sur Washington, rendant une coopération à grande échelle improbable à court terme.
Perspectives : Une crise de croissance ou une révolution géopolitique ?
Le sommet de Rio 2025 est une étape charnière pour les BRICS. Leur capacité à surmonter leurs divergences internes, à concrétiser la dédollarisation et à imposer une gouvernance mondiale plus juste déterminera leur crédibilité. Comme le note Frédéric Aigouy dans Le Samedi Politique, les BRICS sont dans une « crise de croissance », confrontés au défi de transformer une plateforme de coopération en un véritable contrepoids géopolitique. Leur succès dépendra de leur aptitude à rester unis face aux pressions occidentales et à convaincre le Sud global de leur vision.
En conclusion, le sommet des BRICS 2025 à Rio ne se contentera pas de discussions économiques ; il pourrait redéfinir les équilibres mondiaux. Entre ambitions multilatérales et tensions géopolitiques, les BRICS s’affirment comme un acteur incontournable, mais leur chemin vers un nouvel ordre mondial plus juste reste semé d’embûches.
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