L’armée française face au miroir ukrainien – et au vide abyssal derrière elle
Le 1er décembre 2025, le Journal du Dimanche publiait un article qui, en temps normal, aurait dû déclencher un séisme politique. Un jeune lieutenant de 24 ans, tout juste sorti de Saint-Cyr, y lâchait cette phrase devenue virale : « Si on y va, ce sera un carnage ! » Il ne parlait pas d’une opération au Sahel contre des pick-up Toyota armés de mitrailleuses DShK. Il parlait de l’Ukraine. De la Russie. D’un conflit de haute intensité contre une armée de 1,3 million d’hommes actifs, 2 millions de réservistes, 13.000 chars et une industrie de guerre tournant à plein régime depuis trois ans.
Et le plus terrifiant ? Personne, à l’Élysée comme au ministère des Armées, n’a daigné répondre sérieusement à ce cri d’alarme.
Car on le sait tous, au fond : il a raison. Et même pire que ça.
Une armée taillée pour le Mali, pas pour le Donbass
Face à la Russie ? C’est une tout autre chanson. Artillerie massive, guerre électronique à l’échelle industrielle, drones en essaims, missiles hypersoniques inconnus ailleurs que chez eux, drones sous-marins à propulsion et charge nucléaires, saturation des défenses aériennes : tout ce que l’Ukraine subit depuis 2022 et davantage encore, la France le découvrirait en version accélérée. Et nos 200 chars Leclerc opérationnels (sur 406 livrés à l’origine), nos 60 Rafale disponibles un jour J donné, nos 5.000 obus de 155 mm en stock (la Russie en tire autant en 24 heures), ne pèseraient pas lourd.
Le grand vide matériel
Parlons chiffres, ceux que l’on cache derrière les communiqués lénifiants :
- Avions de transport stratégique : une poignée d’A400M, insuffisants pour un pont aérien massif sans aide extérieure. On loue des Antonov ukrainiens ou même des appareils d’origine russe à des compagnies privées pour acheminer nos propres légionnaires – une ironie cruelle qui expose notre dépendance.
- Navires de projection : Un seul porte-hélicoptères Mistral est disponible à un instant T, loin des besoins d’une mobilisation générale. Et encore, on a failli en avoir quatre… si François Hollande n’avait pas annulé en 2014 la vente des deux bâtiments déjà construits pour la Russie, sous pression américaine. Résultat : on a payé 1,2 milliard d’euros d’indemnités à Moscou, on a revendu les navires à l’Égypte pour une bouchée de pain, et aujourd’hui on pleure après des capacités de projection qu’on a nous-mêmes sabordées par soumission atlantiste. Bravo l’indépendance stratégique.
- Munitions et stocks : Seulement 18 mois de production annuelle pour des obus de 155 mm, ce qui équivaut à trois jours de combat à l’intensité ukrainienne. La Russie, elle, en produit des dizaines de milliers par semaine.
- Blindés et disponibilité : Le taux de service des chars Leclerc et VBCI oscille entre 30 et 50 % en temps de paix, aggravé par des chaînes d’approvisionnement fragiles.
- Recrutement et formation : 15.000 postes vacants dans l’armée de terre en 2025, malgré des campagnes de recrutement désespérées et des primes inflationnistes. Les jeunes recrues, comme Alexandre, manquent d’entraînement spécifique à la haute intensité : exercices inspirés du Donbass, oui, mais avec un matériel vieillissant et des simulations qui ne reproduisent pas la saturation russe.
Et quand on parle de projection, on oublie de dire qu’on loue des Iliouchine 76 à des compagnies privées pour transporter nos propres légionnaires. Pathétique !
Et qui paie ? Le contribuable français, à des tarifs gonflés de 37 % entre 2016 et 2017, comme l’a révélé un rapport de la Cour des comptes en 2017 (suivi d’un autre en 2019), suite à une saisine du Sénat.
Une industrie lourde sabordée de l’intérieur
La France n’a plus les moyens industriels de soutenir une guerre longue. Alstom vendue aux Américains, ArcelorMittal qui ferme les hauts-fourneaux, les turbines Arabelle cédées à General Electric, les chantiers navals de Saint-Nazaire passés sous pavillon italien… La liste est interminable. Même les obus de 155 mm, on les fait fabriquer en partie… en Australie et aux États-Unis.
La France a délibérément sacrifié sa base industrielle sur l’autel de la « concurrence libre et non faussée » européenne. Résultat : même pour atteindre l’objectif modeste de 78 Caesar destinés à l’Ukraine (plus 109 pour nos propres forces d’ici 2030), Nexter (KNDS aujourd’hui) est contraint de sous-traiter massivement à l’étranger et de rallonger ses chaînes d’approvisionnement, tandis que son châssis Tatra vient de Tchéquie, ses freins et boîtes de vitesse d’Allemagne, et une partie des composants électroniques passent par des fournisseurs asiatiques ou américains. Et quand il faut produire 78 canons pour l’Ukraine (plus 109 pour nos propres forces d’ici 2030), on passe de 2 à 6 unités par mois en 2024 (soit ~72/an), avec l’espoir d’atteindre 12 par mois d’ici fin 2025… alors que le coréen Hanwha sort son K9 Thunder (équivalent) à raison de 100-150 unités par an actuellement, et pourrait facilement en produire plusieurs centaines si on le lui demandait, grâce à un cycle de 6 mois par pièce. Autrement dit, même pour une production de quelques dizaines de Caesar supplémentaires, notre « base industrielle et technologique de défense » est déjà à bout de souffle.
Une nation ruinée qui joue au poker menteur
Et avec une dette publique dépassant 115 % du PIB et un déficit 2025 qui, même dans le scénario officiel du gouvernement, reste coincé à 5,5 % (et pourrait grimper à 6 % voire plus selon la Commission européenne et le Haut Conseil des finances publiques si la croissance patine), comment financer un réarmement express ?
Et c’est avec ÇA qu’on veut se payer une guerre contre la première puissance nucléaire continentale ? Même les États-Unis, avec leur budget militaire de 900 milliards de dollars, hésitent à franchir le Rubicon d’un engagement direct. Nous, on fait les fiers avec 53 milliards…
Les Français ne veulent pas mourir pour Kiev
Sondage après sondage, c’est une constante : 70 à 80 % des Français sont opposés à l’envoi de troupes en Ukraine.
Seule une frange de boomers, biberonnés à la guerre froide et aux éditoriaux de BHL, continue de rêver d’un « Munich 1938 » bis. Les moins de 40 ans, eux, savent très bien qu’ils seraient la chair à canon de cette folie. Et ils ont raison.
Car pendant ce temps, on a une guerre bien plus urgente à mener : celle contre les narco-trafiquants qui contrôlent Marseille, Saint-Denis ou Rouen, contre les zones de non-droit où la police ne met plus les pieds, contre l’insécurité qui tue plus en un an que trente ans d’OPEX. Mais ça, ça ne fait pas l’affaire des plateaux télé.
1940, le syndrome du fanfaron
On l’a déjà vécu. En 1939-1940, on avait la « plus puissante armée du monde », des chars « meilleurs que les allemands », des généraux décorés de 14-18… et on a tenu six semaines ! La ligne Maginot, discours martiaux, défilés grandioses : tout y était. Et tout s’est effondré comme un château de cartes.
Aujourd’hui, c’est pareil. On se gargarise avec le « rang de la France », le « leadership européen », les Rafale vendus au Qatar ou Inde. Mais quand il s’agit de regarder la réalité en face – une armée sous-équipée, sous-entraînée pour la haute intensité, et une nation épuisée –, on ferme les yeux.
La mise en garde russe que personne ne veut entendre (sauf le peuple français)
Vladimir Poutine l’a dit clairement, à plusieurs reprises :
« L’opération en Ukraine est menée avec une extrême retenue, car c’est un peuple frère. Si jamais l’OTAN, et notamment la France, franchit la ligne rouge d’un engagement direct, ce ne sera plus la même guerre. Ce sera terminé en quelques heures. Et il n’y aura plus personne avec qui négocier. »
On peut critiquer l’homme, mais on ne peut pas dire qu’il n’ait pas prévenu. Et quand on voit la vitesse à laquelle la Russie a annihilé les défenses ukrainiennes en 2022, malgré toutes les illusions occidentales, on mesure ce que « quelques heures » veut dire pour un pays sans défense anti-missiles crédible, avec des centrales nucléaires tous les 50-150 km le long de la Seine et de la Loire, formant un réseau dense et vulnérable et Paris à 2.500 km de Moscou.
Une riposte russe ne serait pas « chirurgicale » : elle serait existentielle. Et nos généraux le savent, même s’ils se taisent.
Et derrière la France, il y aurait qui, au juste ?
La question que personne n’ose poser à l’Élysée : derrière qui marche-t-on ?
La Russie, elle, a tout le Sud global dans son camp. La Chine (premier partenaire commercial et industriel), l’Inde (qui achète son pétrole et armes russes à tour de bras), l’Iran, la Corée du Nord, l’Afrique subsaharienne (où Wagner puis le Corps Afrique ont remplacé Barkhane sans un soupir), l’Amérique latine (Brésil, Venezuela, Cuba, Nicaragua…), l’Indonésie, l’Arabie saoudite qui vient de rejoindre les BRICS+, la Turquie qui joue sur les deux tableaux mais penche de plus en plus vers l’Est. Bref, 85 % de la population mondiale qui refuse de suivre les sanctions occidentales et regarde la Russie comme le champion du monde du « non-alignement » armé.
Et nous ? Derrière la France, il n’y a que la petite bande des bellicistes aux yeux beaucoup plus gros que le ventre : les pays baltes, la Pologne (qui hurle mais n’enverra jamais plus que quelques dizaines d’instructeurs), le Royaume-Uni de service (qui n’a plus que 72.000 hommes sous les drapeaux et des porte-avions qui tombent tour à tour en panne), et quelques gouvernements nordiques qui se rêvent en nouveaux croisés. Tous ces pays qui, dès les premiers vrais coups de feu – ou même avant, dès la première alerte rouge sur leurs radars – feront demi-tour droite, prétexteront « consultations avec le Parlement », « contraintes budgétaires » ou « risques d’escalade nucléaire », et nous laisseront seuls face à la tempête. On l’a déjà vu avec l’Irak en 2003, avec la Libye en 2011, avec le Sahel en 2023 : quand ça chauffe vraiment, les « alliés » se volatilisent. Et cette fois, il n’y aura même pas d’Américains pour venir ramasser les morceaux, parce que Washington a déjà fait savoir, par la voix de Trump comme de certains démocrates réalistes, qu’il ne mourra pas pour Odessa.
On se retrouverait donc seuls, ou presque, face à un bloc eurasiatique uni et déterminé. Beau calcul stratégique.
Macron, l’homme le plus détesté de France, veut nous emmener au suicide collectif
Et qui nous entraîne dans cette folie ? Un président à 19 % d’opinions favorables, qui n’a plus de majorité parlementaire depuis 2022, qui gouverne par 49.3 et ordonnances, qui a été hué dans chaque village de France. Un homme qui n’a jamais fait son service militaire, qui n’a jamais connu la guerre autrement que dans les jeux vidéo de ses conseillers.
Pire : déclarer la guerre n’est pas de son ressort. L’article 35 de la Constitution est clair : seule l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent autoriser une déclaration de guerre. Or Macron parle déjà d’envoyer des troupes « pour sécuriser un cessez-le-feu » sans même consulter le Parlement. C’est un coup d’État militaire rampant.
Arrête ton char, Bidasse… et rentre à la maison
Alors oui, jeune lieutenant Alexandre, tu as raison : si on y va, ce sera un carnage. Mais pas seulement sur le front ukrainien. Ce sera un carnage national. Un suicide collectif orchestré par une caste déconnectée qui préfère mourir en héros cathodique plutôt que de reconnaître son impuissance.
L’armée française est une belle armée. Mais elle n’est pas faite pour ça. Elle n’a ni les moyens, ni l’industrie, ni le soutien populaire, ni la légitimité politique pour se lancer dans une guerre totale contre la Russie.
Alors, messieurs les stratèges de salon, les éditorialistes en costard, les généraux en retraite qui rêvent de décorations : arrêtez votre char. Vraiment.
Parce que cette fois, il n’y aura pas de débarquement américain pour nous sauver. Et il n’y aura plus de France à libérer.


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