Depuis sa création en 2001, Wikipédia s’est imposée comme une référence incontournable, attirant plus de 2 milliards de visiteurs uniques par mois. Conçue comme une encyclopédie libre et participative, elle promettait de démocratiser le savoir. Pourtant, des dérives idéologiques, souvent attribuées à une influence de l’extrême gauche, ont transformé cet outil en un espace contesté, accusé de biais systématiques. Cet article retrace l’histoire de Wikipédia, ses origines utopiques, et explore les mécanismes de ces dérives, en s’appuyant sur des sources récentes, dont une interview de Larry Sanger, co-fondateur de Wikipédia, menée le 25 septembre 2021.
Les origines de Wikipédia : une promesse d’universalité
Lancée le 15 janvier 2001 par Jimmy Wales et Larry Sanger, Wikipédia est née d’une ambition révolutionnaire : créer une encyclopédie mondiale, collaborative et gratuite. Comme l’explique Sanger dans son interview de 2021, la mission initiale, héritée du projet Nupedia, était de produire une encyclopédie « gratuite, ouverte à tous, respectable et bâtie sur les principes de l’open source », permettant à chacun d’accéder et d’adapter le contenu. Le terme « wiki », signifiant « rapide » en hawaïen, incarnait cette idée d’un savoir construit collectivement. Avec 6,8 millions d’articles en anglais, 2,5 millions en français, et une domination dans les résultats Google (85 % des pages dans le top 3), Wikipédia a éclipsé les encyclopédies traditionnelles comme Larousse ou Britannica.
Le slogan « l’encyclopédie libre » reflétait une vision d’un savoir sans hiérarchie, où la neutralité était centrale. Sanger précise : « L’idée derrière la neutralité est de permettre aux gens de forger leur propre opinion », en présentant de manière équilibrée les divers points de vue. Cette approche collaborative séduisait par son apparente impartialité, mais portait en germe des failles qui allaient permettre des dérives idéologiques.
Les dérives idéologiques : un contrôle par une minorité militante
Au fil des années, Wikipédia a vu son idéal de neutralité s’éroder sous l’influence d’une minorité de contributeurs hyperactifs, souvent accusés d’imposer une vision idéologique marquée à gauche. Sanger, dans son interview, déplore cette évolution : « L’application de la politique de neutralité a volé en éclat, et un camp a fini par dominer. » Plusieurs facteurs expliquent cette transformation.
-
Une gouvernance oligarchique
Malgré son image participative, Wikipédia est loin d’être démocratique. Seuls 0,3 % des comptes sont actifs, et une poignée d’administrateurs, élus à vie, détiennent un pouvoir disproportionné. Sanger décrit un système où « un très petit nombre de personnes ayant des pouvoirs d’administration utilisent ces pouvoirs pour s’assurer que seules les bonnes personnes contribuent ». Ces administrateurs, souvent anonymes, contrôlent les modifications, censurent les sources et bannissent les contributeurs dissidents, comme Michel 1961, exclu après 15 ans pour avoir critiqué les biais internes.
Cette centralisation contredit l’idéal initial. Sanger regrette de ne pas avoir instauré « un processus de prise de décision plus démocratique » dès le départ, ce qui aurait pu limiter l’émergence d’un « vide de pouvoir » exploité par des groupes idéologiques. Il note : « Dès que Wikipédia est devenu influent, les idéologues ont commencé à s’y investir, et un camp a fini par l’emporter. » (NDLR: on pourrait tout à fait faire un parallèle avec le mouvement des Gilets jaunes…).
-
Le « cherry picking » des sources
Wikipédia exige des sources vérifiables, mais leur sélection est biaisée. Des médias progressistes comme Le Monde, The New York Times ou The Guardian sont privilégiés, tandis que des sources conservatrices ou alternatives (Valeurs actuelles, CNews, TV Libertés) sont disqualifiées. Sanger confirme cette dérive : « Ils ont progressivement éliminé les blogs, puis presque toutes les sources conservatrices comme références. » Cette pratique, appelée « cherry picking » (procédé trompeur mettant en avant les faits ou données qui
donnent du crédit à son opinion en passant sous silence tous les cas qui la
contredisent), façonne le contenu selon une ligne idéologique dominante.
Par exemple, la page francophone sur le glyphosate, influencée par un contributeur écologiste, diverge du consensus scientifique présenté en anglais. De même, des concepts comme le racisme sont redéfinis comme un « système de domination structurelle » favorisant les Blancs, tandis que le « grand remplacement » est systématiquement qualifié de « théorie complotiste d’extrême droite ».
-
La politisation des contenus
De nombreuses pages illustrent ces biais. Des médias comme Le Point sont accusés d’islamophobie sans preuves solides, tandis que des figures comme J.K. Rowling sont caricaturées comme « transphobes ». À l’inverse, des personnalités associées à l’extrême gauche, comme Assa Traoré, bénéficient de descriptions nuancées. Sanger observe : « Toute personne située à droite ou simplement contrariante se retrouve avec un article qui déforme gravement son parcours, omet des aspects cruciaux et tord ses motivations. »
Des collectifs militants, comme « Sans pagEs » ou « Les 100 pages », soutenus par la Wikimedia Foundation, amplifient cette politisation. Ces groupes organisent des « edit-a-thons » pour promouvoir des contenus progressistes (féminisme, décolonialisme) tout en marginalisant les perspectives conservatrices. Sanger qualifie ce phénomène de « propagande de gauche », notant que Wikipédia « reflète le point de vue de l’establishment » promu par les élites médiatiques.
-
Un contrôle social subtil
Sanger dénonce une plateforme devenue « autoritaire », où les contributeurs dissidents risquent l’exclusion : « Si vous modifiez des articles populaires, vous risquez d’être exclu du projet. » Cette mainmise s’exerce par la suppression d’articles jugés « non notoires » (comme certains faits divers liés à l’immigration), des bannissements, ou l’intimidation dans les pages de discussion. Niall Ferguson, historien, décrit Wikipédia comme un « monopole sur l’interprétation du monde », dictant ce qui mérite d’être su ou ignoré.
Sanger va plus loin, affirmant que Wikipédia est devenue un outil de « wikialité », façonnant une réalité alignée sur les intérêts des puissants. Il note que cette dérive, perceptible dès 2010, s’est accentuée au cours des cinq années précédant 2021, transformant Wikipédia en une « excellente source pour communiquer le point de vue de l’establishment ».
Les zones d’ombre : financements et influences
La Wikimedia Foundation, qui finance Wikipédia, joue un rôle ambigu. Des liens troubles émergent, comme la trésorière du collectif « Les 100 pages » ayant présidé Wikimédia France, suggérant des conflits d’intérêts. La fondation soutient des projets militants, légitimant leur influence. À l’international, des cas similaires sont rapportés : en Allemagne, des administrateurs liés à l’extrême gauche manipulent des pages pour minimiser les critiques de l’islamisation.
Sanger critique cette centralisation, plaidant pour une « encyclopédie décentralisée » où plusieurs perspectives coexisteraient. Il propose un réseau d’articles encyclopédiques issus de sources diverses, connectés par une norme technique comme le RSS, pour contrer la domination de Wikipédia.
Que faire face à ces dérives ?
Wikipédia reste utile pour des sujets techniques, mais exige une vigilance accrue sur les questions politiques ou sociétales. Sanger insiste : « Si l’on cherche autre chose que le point de vue de l’establishment, il faut aller ailleurs. » Claude Cholet, de l’Observatoire du journalisme (OJIM), recommande d’utiliser Wikipédia « avec une longue cuillère », en croisant les sources.
Pour contrer ces dérives, plusieurs pistes émergent :
- Encourager la participation : Victor Lefebvre et Michel Sandrin (La Face cachée de Wikipédia) appellent les contributeurs de bonne foi à s’investir pour rééquilibrer les contenus. Le faible taux de contributeurs actifs (0,32 %) rend le système vulnérable à une minorité militante.
- Réformer la gouvernance : Sanger regrette l’absence d’une structure décisionnelle démocratique. Une rotation des administrateurs et une transparence accrue sur les sources pourraient limiter les abus.
- Sensibiliser le public : Dénoncer la prétendue neutralité de Wikipédia, comme le font TV Libertés ou Le Point, est crucial pour encourager un usage critique.
- Explorer des alternatives : Sanger travaille sur l’« encyclopshère », un réseau décentralisé d’encyclopédies ouvertes, où « différentes perspectives sur un même sujet » coexisteraient, évitant la mainmise d’un seul groupe.
Wikipédia, née d’une utopie collaborative, s’est imposée comme une référence mondiale, mais au prix de sa neutralité. Comme l’avertit Larry Sanger, « l’application de la politique de neutralité a volé en éclat », transformant l’encyclopédie en un outil de propagande reflétant les vues de l’establishment. Sous l’influence d’une minorité militante, souvent alignée à l’extrême gauche, Wikipédia façonne une réalité biaisée, marginalisant les voix dissidentes. Si elle reste précieuse pour des sujets objectifs, elle exige un regard critique sur les thématiques sensibles. Face à cette « tyrannie du bien », pour reprendre Renaud Camus, la lucidité et l’engagement des contributeurs attachés à l’idéal originel, combinés à des initiatives comme l’encyclopshère de Sanger, sont essentiels pour restaurer un savoir équilibré. Le combat pour une information libre, comme le souligne TV Libertés, ne fait que commencer.
Laisser un commentaire